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    J’ai écrit ce petit texte pour le jeu thé/café n° 55  de Brigitte, « le blog d’écureuil bleu ».

    Les jeux sont faits, tout le monde a voté.

    Je suis primé 4em, et  je remercie tous ceux et celles qui ont voté pour mon texte.

     

     

     

    Les héritiers...

    Un tableau d’Eugène BULAND (musée de Bordeaux).

    (Photo de Brigitte)

     

    Les héritiers

    Après la mort du père,

    Les héritiers  sont  là,

    Tout de noir vêtus.

    Visages impassibles,

    L’air grave,

    Ils attendent,

    Dans le clair obscur.

    Mais à quoi donc pensent-ils ?

    Aux biens laissés,

    Dont ils vont bientôt jouir ?

    A la mort qui vient de frapper ?

    Ont-ils du chagrin ?

    Nul ne le sait !

    Ils attendent !

    Liviaaugustae

     


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    Baiser en couleurs...

    Femme de Konstantin Razumov

     

    Baiser rose, baiser bleu…

    À table, l'autre jour, un réseau de guipure,
    Comme un filet d'argent sur un marbre jeté,
    De votre sein, voilant à demi la beauté,
    Montrait, sous sa blancheur, une blancheur plus pure.

    Vous trôniez parmi nous, radieuse figure,
    Et le baiser du soir, d'un faible azur teinté,
    Comme au contour d'un fruit la fleur du velouté,
    Glissait sur votre épaule en mince découpure.

    Mais la lampe allumée et se mêlant au jeu,
    Posait un baiser rose auprès du baiser bleu :
    Tel brille au clair de lune un feu dans de l'albâtre.

    À ce charmant tableau, je me disais, rêveur,
    Jaloux du reflet rose et du reflet bleuâtre :
    " Ô trop heureux reflets, s'ils savaient leur bonheur ! "

    THEOPHILE GAUTIER


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    Au jardin de Boileau...

    Jardin à la française en Provence,

    Le pavillon de Galon à Curcuron

    (Image Wikipédia)

     

     

    À mon jardinier 

    Laborieux valet du plus commode maître
    Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvait naître,
    Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteuil,
    Qui diriges chez moi l'if et le chèvrefeuille,
    Et sur mes espaliers, industrieux génie,
    Sais si bien exercer l'art de La Quintinie ;
    Ô ! que de mon esprit triste et mal ordonné,
    Ainsi que de ce champ par toi si bien orné.
    Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,
    Et des défauts sans nombre arracher les racines !

    Mais parle : raisonnons. Quand, du matin au soir,
    Chez moi poussant la bêche, ou portant l'arrosoir,
    Tu fais d'un sable aride une terre fertile,
    Et rends tout mon jardin à tes lois si docile ;
    Que dis-tu de m'y voir rêveur, capricieux,
    Tantôt baissant le front, tantôt levant les yeux,
    De paroles dans l'air par élans envolées,
    Effrayer les oiseaux perchés dans mes allées ?
    Ne soupçonnes-tu point qu'agité du démon,


    Ainsi que ce cousin des quatre fils Aimon,
    Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire,
    Je rumine en marchant quelque endroit du grimoire ?
    Mais non : tu te souviens qu'au village on t'a dit
    Que ton maître est nommé pour coucher par écrit
    Les faits d'un roi plus grand en sagesse, en vaillance,
    Que Charlemagne aidé des douze pairs de France.
    Tu crois qu'il y travaille, et qu'au long de ce mur
    Peut-être en ce moment il prend Mons et Namur.

    Que penserais-tu donc, si l'on t'allait apprendre
    Que ce grand chroniqueur des gestes d'Alexandre,
    Aujourd'hui méditant un projet tout nouveau,
    S'agite, se démène, et s'use le cerveau,
    Pour te faire à toi-même en rimes insensées
    Un bizarre portrait de ses folles pensées ?
    Mon maître, dirais-tu, passe pour un docteur,
    Et parle quelquefois mieux qu'un prédicateur.
    Sous ces arbres pourtant, de si vaines sornettes
    Il n'irait point troubler la paix de ces fauvettes,
    S'il lui fallait toujours, comme moi, s'exercer,
    Labourer, couper, tondre, aplanir, palisser,
    Et, dans l'eau de ces puits sans relâche tirée,
    De ce sable étancher la soif démesurée.

    Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le vois
    Que le plus occupé dans ce jardin, c'est toi ?
    O ! que tu changerais d'avis et de langage,
    Si deux jours seulement, libre du jardinage,
    Tout à coup devenu poète et bel esprit,
    Tu t'allais engager à polir un écrit
    Qui dît, sans s'avilir, les plus petites choses ;
    Fît des plus secs chardons des œillets et des roses ;
    Et sût même au discours de la rusticité
    Donner de l'élégance et de la dignité ;
    Lin ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes,
    Sût plaire à d'Aguesseau, sût satisfaire Termes,
    Sût, dis-je, contenter, en paraissant au jour,
    Ce qu'ont d'esprits plus fins et la ville et la cour !
    Bientôt de ce travail revenu sec et pâle,
    Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
    Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau :
    J'aime mieux mettre encor cent arpents au niveau,
    Que d'aller follement, égaré dans les nues,
    Me lasser à chercher des visions cornues ;
    Et, pour lier des mots si mal s'entr'accordants,
    Prendre dans ce jardin la lune avec les dents. […]

    Nicolas BOILEAU


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    Papotages d'oiseaux...

    Hirondelles rustiques sur des fils téléphoniques avant d’entamer la migration…

    (Image wikipédia)

     

    Ce que disent les hirondelles

     

    Déjà plus d’une feuille sèche

    Parsème les gazons jaunis ;

    Soir et matin, la brise est fraîche ;

    Hélas ! Les beaux jours sont finis !

     

    On voit s’ouvrir les fleurs que garde

    Le jardin, pour dernier trésor :

    Le dahlia met sa cocarde

    Et le souci sa toque d’or.

     

    La pluie au bassin fait des bulles ;

    Les hirondelles sur les toits

    Tiennent des conciliabules

    Voici l’hiver, voici le froid !

     

    Elles s’assemblent par centaines,

    Se concertant pour le départ.

    L’une dit : « oh ! que dans Athènes

    Il fait bon sur le vieux rempart !

     

    Tous les ans j’y vais et je niche

    Aux métopes du Parthénon.

    Mon nid bouche dans la corniche

    Le trou d’un boulet de canon. »

     

    L’autre : « J’ai ma petite chambre

    A Smyrne au plafond d’un café.

    Les Hadjis comptent leurs grains d’ambre

    Sur le seuil d’un rayon chauffé.

     

    J’entre et je sors, accoutumée

    Aux blondes vapeurs des chibouks,

    Et parmi les flots de fumée

    Je rase turbans et tarbouchs.

     

    Celle-ci : « j’habite un triglyphe

    Au fronton d’un temple, à Balbeck

    Je m’y suspends avec ma griffe

    Sur mes petits au large bec. »

     

    Celle-là ! : « Voici mon adresse :

    Rhodes, palais des chevaliers ;

    Chaque hiver ma tente s’y dresse

    Au chapiteau des noirs piliers.

     

    La cinquième : « Je ferai halte,

    Car l’âge m’alourdit un peu,

    Aux blanches terrasses de Malte,

    Entre l’eau bleue et le ciel bleu. »

     

    La sixième : « Qu’on est à l’aise

    Au Caire, en haut des minarets !

    J’empâte un ornement de glaise

    Et mes quartiers d’hiver sont prêts. »

     

    « A la seconde cataracte,

     fait la dernière, j’ai mon nid :

    J’en ai noté la place exacte,

    Dans le pschent d’un roi de granit. »

     

    Toutes : « Demain combien de lieues

    Auront filé sous notre essaim,

    Plaines brunes, pics blancs, mers bleues

    Brodant d’écumes leur bassin ! »

     

    Avec cris et battements d’’ailes,

    Sur la moulure aux bords étroits,

    Ainsi jasent les hirondelles

    Voyant venir la rouille aux bois. 

     

    Je comprends tout ce qu’elles disent,

    Car le poète est un oiseau ;

    Mais captif, ses élans se brisent

    Contre un invisible réseau !

     

    Des ailes ! Des ailes ! Des ailes !

    Comme dans le chant de Ruckert,

    Pour voler, là-bas avec elles

    Au soleil d’or, au printemps vert !

    Théophile Gautier

     

    Petit lexique, pour nous permettre de mieux comprendre le but du voyage des hirondelles !

    Métope : intervalle séparant deux triglyphes…

    Triglyphe : ornement de la frise dorique…

    Hadji : Musulman qui a fait le pèlerinage à La Mecque…

    Chibouck : Pipe turc à long tuyau…

    Pschent : Coiffure des pharaons, double couronne symbolisant  la souveraineté sur la Basse et la Haute Egypte…

    Liviaaugustae


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    La main de plâtre...

    Léonardo da Vinci

    Feuille d’étude de mains et des bras (1474) pointe d’argent rehaussé de blanc, sur préparation rose.

    (Windsor Castle)

     

     

    Imperia

    Chez un sculpteur, moulée en plâtre,

    J’ai vue l’autre jour une main

    D’Aspasie ou de Cléopâtre,

    Pur fragment d’un chef-d’œuvre humain ;

     

    Sous le baiser neigeux saisie

    Comme un lis par l’aube argenté,

    Comme une blanche poésie

    S’épanouissait la beauté.

     

    Dans l’éclat de sa pâleur mate

    Elle étalait sur le velours

    Son élégance délicate

    Et ses doigts fins aux anneaux lourds.

     

    Une cambrure florentine,

    Avec un bel air de fierté,

    Faisait, en ligne serpentine,

    Onduler son pouce écarté.

     

    A-t-elle joué dans les boucles

    Des cheveux lustrés de don Juan,

    Ou sur son caftan d’escarboucles

    Peigné la barbe du sultan,

     

    Et tenu, courtisane ou reine

    Entre ses doigts si bien sculptés,

    Le sceptre d’une souveraine

    Ou le sceptre des voluptés ?

     

    Elle a dû, nerveuse et mignonne,

    Souvent s’appuyer sur le col

    Et sur la croupe de lionne

    De sa chimère prise au vol.

     

    Impériales fantaisies,

    Amours des somptuosités ;

    Voluptueuses frénésies,

    Rêves d’impossibilités,

     

    Romans extravagants, poèmes

    De haschisch et de vin du Rhin,

    Courses folles dans les bohèmes

    Sur le dos des coursiers sans frein ;

     

    On voit tout cela dans les lignes

    De cette paume, livre blanc

    Où Vénus a tracé des signes

    Que l’amour ne lit qu’en tremblant.

    Théophile Gautier


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