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Par Liviaaugustae le 1 Décembre 2014 à 12:12
J’ai écrit ce petit texte pour le jeu thé/café n° 55 de Brigitte, « le blog d’écureuil bleu ».
Les jeux sont faits, tout le monde a voté.
Je suis primé 4em, et je remercie tous ceux et celles qui ont voté pour mon texte.
Un tableau d’Eugène BULAND (musée de Bordeaux).
(Photo de Brigitte)
Les héritiers
Après la mort du père,
Les héritiers sont là,
Tout de noir vêtus.
Visages impassibles,
L’air grave,
Ils attendent,
Dans le clair obscur.
Mais à quoi donc pensent-ils ?
Aux biens laissés,
Dont ils vont bientôt jouir ?
A la mort qui vient de frapper ?
Ont-ils du chagrin ?
Nul ne le sait !
Ils attendent !
Liviaaugustae
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Par Liviaaugustae le 24 Novembre 2014 à 00:09
Femme de Konstantin Razumov
Baiser rose, baiser bleu…
À table, l'autre jour, un réseau de guipure,
Comme un filet d'argent sur un marbre jeté,
De votre sein, voilant à demi la beauté,
Montrait, sous sa blancheur, une blancheur plus pure.
Vous trôniez parmi nous, radieuse figure,
Et le baiser du soir, d'un faible azur teinté,
Comme au contour d'un fruit la fleur du velouté,
Glissait sur votre épaule en mince découpure.
Mais la lampe allumée et se mêlant au jeu,
Posait un baiser rose auprès du baiser bleu :
Tel brille au clair de lune un feu dans de l'albâtre.
À ce charmant tableau, je me disais, rêveur,
Jaloux du reflet rose et du reflet bleuâtre :
" Ô trop heureux reflets, s'ils savaient leur bonheur ! "THEOPHILE GAUTIER
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Par Liviaaugustae le 17 Novembre 2014 à 00:01
Jardin à la française en Provence,
Le pavillon de Galon à Curcuron
(Image Wikipédia)
À mon jardinier
Laborieux valet du plus commode maître
Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvait naître,
Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteuil,
Qui diriges chez moi l'if et le chèvrefeuille,
Et sur mes espaliers, industrieux génie,
Sais si bien exercer l'art de La Quintinie ;
Ô ! que de mon esprit triste et mal ordonné,
Ainsi que de ce champ par toi si bien orné.
Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,
Et des défauts sans nombre arracher les racines !
Mais parle : raisonnons. Quand, du matin au soir,
Chez moi poussant la bêche, ou portant l'arrosoir,
Tu fais d'un sable aride une terre fertile,
Et rends tout mon jardin à tes lois si docile ;
Que dis-tu de m'y voir rêveur, capricieux,
Tantôt baissant le front, tantôt levant les yeux,
De paroles dans l'air par élans envolées,
Effrayer les oiseaux perchés dans mes allées ?
Ne soupçonnes-tu point qu'agité du démon,
Ainsi que ce cousin des quatre fils Aimon,
Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire,
Je rumine en marchant quelque endroit du grimoire ?
Mais non : tu te souviens qu'au village on t'a dit
Que ton maître est nommé pour coucher par écrit
Les faits d'un roi plus grand en sagesse, en vaillance,
Que Charlemagne aidé des douze pairs de France.
Tu crois qu'il y travaille, et qu'au long de ce mur
Peut-être en ce moment il prend Mons et Namur.
Que penserais-tu donc, si l'on t'allait apprendre
Que ce grand chroniqueur des gestes d'Alexandre,
Aujourd'hui méditant un projet tout nouveau,
S'agite, se démène, et s'use le cerveau,
Pour te faire à toi-même en rimes insensées
Un bizarre portrait de ses folles pensées ?
Mon maître, dirais-tu, passe pour un docteur,
Et parle quelquefois mieux qu'un prédicateur.
Sous ces arbres pourtant, de si vaines sornettes
Il n'irait point troubler la paix de ces fauvettes,
S'il lui fallait toujours, comme moi, s'exercer,
Labourer, couper, tondre, aplanir, palisser,
Et, dans l'eau de ces puits sans relâche tirée,
De ce sable étancher la soif démesurée.
Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le vois
Que le plus occupé dans ce jardin, c'est toi ?
O ! que tu changerais d'avis et de langage,
Si deux jours seulement, libre du jardinage,
Tout à coup devenu poète et bel esprit,
Tu t'allais engager à polir un écrit
Qui dît, sans s'avilir, les plus petites choses ;
Fît des plus secs chardons des œillets et des roses ;
Et sût même au discours de la rusticité
Donner de l'élégance et de la dignité ;
Lin ouvrage, en un mot, qui, juste en tous ses termes,
Sût plaire à d'Aguesseau, sût satisfaire Termes,
Sût, dis-je, contenter, en paraissant au jour,
Ce qu'ont d'esprits plus fins et la ville et la cour !
Bientôt de ce travail revenu sec et pâle,
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle,
Tu dirais, reprenant ta pelle et ton râteau :
J'aime mieux mettre encor cent arpents au niveau,
Que d'aller follement, égaré dans les nues,
Me lasser à chercher des visions cornues ;
Et, pour lier des mots si mal s'entr'accordants,
Prendre dans ce jardin la lune avec les dents. […]Nicolas BOILEAU
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Par Liviaaugustae le 13 Novembre 2014 à 00:01
Hirondelles rustiques sur des fils téléphoniques avant d’entamer la migration…
(Image wikipédia)
Ce que disent les hirondelles
Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis ;
Soir et matin, la brise est fraîche ;
Hélas ! Les beaux jours sont finis !
On voit s’ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d’or.
La pluie au bassin fait des bulles ;
Les hirondelles sur les toits
Tiennent des conciliabules
Voici l’hiver, voici le froid !
Elles s’assemblent par centaines,
Se concertant pour le départ.
L’une dit : « oh ! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart !
Tous les ans j’y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d’un boulet de canon. »
L’autre : « J’ai ma petite chambre
A Smyrne au plafond d’un café.
Les Hadjis comptent leurs grains d’ambre
Sur le seuil d’un rayon chauffé.
J’entre et je sors, accoutumée
Aux blondes vapeurs des chibouks,
Et parmi les flots de fumée
Je rase turbans et tarbouchs.
Celle-ci : « j’habite un triglyphe
Au fronton d’un temple, à Balbeck
Je m’y suspends avec ma griffe
Sur mes petits au large bec. »
Celle-là ! : « Voici mon adresse :
Rhodes, palais des chevaliers ;
Chaque hiver ma tente s’y dresse
Au chapiteau des noirs piliers.
La cinquième : « Je ferai halte,
Car l’âge m’alourdit un peu,
Aux blanches terrasses de Malte,
Entre l’eau bleue et le ciel bleu. »
La sixième : « Qu’on est à l’aise
Au Caire, en haut des minarets !
J’empâte un ornement de glaise
Et mes quartiers d’hiver sont prêts. »
« A la seconde cataracte,
fait la dernière, j’ai mon nid :
J’en ai noté la place exacte,
Dans le pschent d’un roi de granit. »
Toutes : « Demain combien de lieues
Auront filé sous notre essaim,
Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
Brodant d’écumes leur bassin ! »
Avec cris et battements d’’ailes,
Sur la moulure aux bords étroits,
Ainsi jasent les hirondelles
Voyant venir la rouille aux bois.
Je comprends tout ce qu’elles disent,
Car le poète est un oiseau ;
Mais captif, ses élans se brisent
Contre un invisible réseau !
Des ailes ! Des ailes ! Des ailes !
Comme dans le chant de Ruckert,
Pour voler, là-bas avec elles
Au soleil d’or, au printemps vert !
Théophile Gautier
Petit lexique, pour nous permettre de mieux comprendre le but du voyage des hirondelles !
Métope : intervalle séparant deux triglyphes…
Triglyphe : ornement de la frise dorique…
Hadji : Musulman qui a fait le pèlerinage à La Mecque…
Chibouck : Pipe turc à long tuyau…
Pschent : Coiffure des pharaons, double couronne symbolisant la souveraineté sur la Basse et la Haute Egypte…
Liviaaugustae
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Par Liviaaugustae le 10 Novembre 2014 à 00:28
Léonardo da Vinci
Feuille d’étude de mains et des bras (1474) pointe d’argent rehaussé de blanc, sur préparation rose.
(Windsor Castle)
Imperia
Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
J’ai vue l’autre jour une main
D’Aspasie ou de Cléopâtre,
Pur fragment d’un chef-d’œuvre humain ;
Sous le baiser neigeux saisie
Comme un lis par l’aube argenté,
Comme une blanche poésie
S’épanouissait la beauté.
Dans l’éclat de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.
Une cambrure florentine,
Avec un bel air de fierté,
Faisait, en ligne serpentine,
Onduler son pouce écarté.
A-t-elle joué dans les boucles
Des cheveux lustrés de don Juan,
Ou sur son caftan d’escarboucles
Peigné la barbe du sultan,
Et tenu, courtisane ou reine
Entre ses doigts si bien sculptés,
Le sceptre d’une souveraine
Ou le sceptre des voluptés ?
Elle a dû, nerveuse et mignonne,
Souvent s’appuyer sur le col
Et sur la croupe de lionne
De sa chimère prise au vol.
Impériales fantaisies,
Amours des somptuosités ;
Voluptueuses frénésies,
Rêves d’impossibilités,
Romans extravagants, poèmes
De haschisch et de vin du Rhin,
Courses folles dans les bohèmes
Sur le dos des coursiers sans frein ;
On voit tout cela dans les lignes
De cette paume, livre blanc
Où Vénus a tracé des signes
Que l’amour ne lit qu’en tremblant.
Théophile Gautier
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