L'Annonciation

Jan Van Eyck

C'était sans doute vu son format allongé, le volet gauche d'un triptyque. Le panneau central montrait probablement une nativité ou Adoration des mages, et une Visitation ou Présentation au Temple pour le volet droit. Nul ne sait s'ils réapparaîtront un jour , car personne ne les a vus depuis la Révolution.

Nous sommes dans une haute église romane qui représente le Temple de Jérusalem, les peintres flamands symbolisent l'Ancienne Loi par le style roman, et la Nouvelle Alliance par le gothique.

L'archange Gabriel, aux longues boucles blondes, couronné d'or, rubis, saphirs, et perles, le visage éclairé par un sourire radieux typique des anges de Van Eyck, les ailes couvertes de plumes aux couleurs de l'arc-en-ciel, s'approche de la Vierge Marie.

Il est vêtu d'une précieuse dalmatique de diacre en brocart toute brodée d'or, et d'un pluvial (chape) en somptueux velours de Venise écarlate, rebrodé d'or et frangé de fils de soie vert malachite. Il est le diacre du Christ, unique grand prêtre, qui va s'incarner dans un instant. Le rouge est la couleur de la divinité du Christ.

L'énorme saphir qui orne le formal (broche liturgique) qui attache son pluvial est si gros qu'une des fenêtres de l'église s'y reflète. Il tient un sceptre d'or et cristal de roche, élève une main fine et aristocratique, aux doigts très allongés, habituels chez les peintres flamands. Les mots qu'il prononce, AVE GRACIAS PLENA (Je te salut pleine de grâce), sont peints en majuscules à la feuille d'or.

Marie, agenouillée ou déjà relevée (ce n'est pas clair parce que son immense manteau recouvre à moitié le prie Dieu où elle est en train de lire la Sainte Ecriture), est couronnée d'un cercle d'or, serti de perles et d'un beau rubis entouré de perles, qui forme une fleur.

Le bleu de sa robe et de son manteau, peint avec de la poudre de Lapis Lazuli pur (pierre semi précieuse plus chère que l'or), fascine tellement il est intense.

Elle répond : ECCE ANCILLIA DOMINI (voici la servante du Seigneur). Les mots partent de sa bouche, vont vers la gauche et sont tournés la tête en bas, car ils sont adressés à Dieu plus qu'à l'ange. La colombe de Saint Esprit glisse vers elle sur sept rayons d'or, qui symbolisent les dons du Saint Esprit, et arrivent par une fenêtre haute à gauche. Le vase de lys posé devant elle symbolise sa virginité. Le dallage, en marqueterie de marbre noir et blanc comme celui de la cathédrale de Sienne en Italie, représente des scène de l'Ancien Testament... Les médaillons circulaires sont les signes du Zodiac. Sur le mur du fond de l'église, Isaac et Jacob sont peints dans des médaillons. Le vitrail montre le Christ en majesté sur le globe, survolé par des séraphins. Il est entouré de fresques romanes...

Ce tableau a connu un parcours incroyable. Donné par Philippe le Hardi à la Chartreuse de Champmol à Dijon, où il était encore en 1791 , il échappa aux radicales destructions révolutionnaires et, après un passage à Paris, fut vendu par un antiquaire néerlandais au roi des Pays-Bas Guillaume II en 1817. IL resta à Bruxelles jusqu'en 1841, puis parti pour Lahaye. En 1840, il est acquis par le tsar Nicolas 1er pour le palais de l'Ermitage de Saint Pétersbourg. C'est là que, vers 1870, la peinture fut transposée de son panneau sur une toile, ce qu'on ne ferait plus maintenant. En 1930, elle vendue secrètement par l'URSS à une galerie d'art occidentale. Le gouvernement soviétique avait chargé un marchand d'arts allemand de dresser une liste de cent peintures de l'Ermitage qui ne devait être vendues en aucun cas. C'était une ruse pour connaître les œuvres précieuses du musée, qui furent vendues les premières... Le grand collectionneur américain Andrew Mellon en fit l'acquisition, avec vingt et un autre chefs d'œuvres de même provenance, pour finalement offrir sa collection en 1937 à la National Galery. Une saga improbable, digne d'un roman d'espionnage...

Marie-Gabrielle Leblanc