• Spectacles.

     
     
     
    NAÏS…
     
    C’est une pièce, puis un film, de Marcel Pagnol !
    Pleine de soleil, d’Amour, sensible, comme toute l’œuvre de Pagnol…
     
     
     
     
     
     
     
     
     
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    NAÏS : aquarelle de Suzanne Balivet.
     
    (Cette aquarelle représente Jacqueline Pagnol, qui tenait le rôle de NAÏS)
     
     
     
    Résumé de la scène : La famille ROSTAING, va regagner la ville. Les vacances d’été se terminent, et tout le monde va reprendre sa vie… Mais TOINE, qui aime et veut le bonheur de NAÏS, va trouver Mme ROSTAING, afin de lui demander de ramener cette dernière avec elle. Car soue les étoiles avec Frédéric, qu’elle aime depuis toujours NAIS a tout donné…  
     
    Fernandel, y excelle et donne toute la mesure de son grand talent…
     
    Cette scène est magnifique !
     
    Je vous l’offre !
     
     
     
     
     
     
    TOINE
    Et pour Naïs, Madame Rostaing, j’ai oublié de vous dire quelque chose. Et j’ai bien fait de l’oublier, parce que je préfère vous le dire à vous toute seule. Naïs, si vous l’emmeniez, çà enlèverai du souci à Frédéric.
    Mme ROSTAING
    Du souci ? Quel souci ?
    TOINE
    Il l’aime bien, n’est-ce pas ?
    Mme ROSTAING
    Oui, c’est une petite camarade. Je n’oublierai pas qu’elle partageait ses jeux.
    TOINE
    Oui, elle partageait ses jeux… Ils jouaient à papa maman…
    Mme ROSTAING
    Comme des enfants de cet âge…
    TOINE
    Eh oui… Bien, je crois qu’ils ont continué.
    Mme ROSTAING
    Ils ont continué quoi ?
    TOINE
    A partager leurs jeux, comme vous dites… Ils ont même joué aux cachettes… Seulement c’était la nuit dans la pinède… Et quelqu’un qui ne les cherchait pas les a trouvés. Et voilà, c’est comme çà.
    Mme ROSTAING
    Je suis certaine que Frédéric a respecté sa petite camarade… Vous les avez-vu ?
    TOINE
    Ca ne m’a guère fait plaisir.
    Mme ROSTAING
    Il s’agissait certainement d’une promenade au clair de lune…
    TOINE
    Ca à dû commencer comme çà. Mais moi, quand je les ai vus, ils ne se promenaient plus. Je veux dire : ils étaient pas debout… C’était sous les genêts…
     
     
     
     
     
     
     
     
     
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    Frédéric et Naïs au clair de lune : aquarelle de Suzanne Balivet.
     
     
     
     
     
    Mme ROSTAING
     
    Ils bavardaient ?
     
    TOINE
     
    Oh non. Ils auraient pas pu remuer les lèvres…
     
    Mme ROSTAING
     
    Frédéric est incapable d’un acte aussi laid. Un acte qui serait un crime.
     
    TOINE
     
    Eh oui, c’est un crime. Mais ce genre de crime, tous les garçons de vingt ans, ils en sont capables… Seulement, il y avait les étoiles, le clair de lune et les grillons, et çà c’est terrible pour les garçons de la ville, et les filles de n’importe où. Il paraît que les filles, elles s’y habituent jamais… Enfin ! Moi, j’ai l’air de faire des racontars. Des histoires de vilains bossus. Mais ce que je dis, Mme Rostaing, c’est pour le bien de Naïs.
     
    Mme ROSTAING
     
    Quel bien peut-elle espérer, cette petite dévergondée ?
     
    TOINE
     
    Oh elle, vous savez, elle n’espère rien du tout. Elle ne sait même pas que je vous l’ai dit. Mais moi, j’espère un petit peu. Un tout petit peu. Parce que je sais que vous allez à la messe tous les dimanches. C’est moi qui vous y ai conduite sur le charreton, même le jour que la pluie emportait la route sous les pieds de l’âne. Les gens qui vont à la messe, quand çà leur rapporte rien, alors moi, j’y ai confiance. Parce qu’ils croient à un tas de choses. Il y a le bon Dieu, et puis, il y a les anges, et puis, il y a le pêché, et puis il y a l’enfer… Alors, c’est pour çà que je vous ai parlé.
     
    Mme ROSTAING
     
    Vous avez bien fait… L’inconduite de Naïs et la sottise de Frédéric ne me force pas à faire entrer cette fille dans ma maison.
     
    TOINE
     
    C’est que, Mme Rostaing, c’est que les grillons du clair de lune, des fois, aux filles, çà leur fait des enfants ! Je ne dis pas que çà soit le cas. Je n’en sais rien, bien entendu… Mais enfin, çà pourrait arriver. Alors, si Naïs reste ici, moi je ferai tout ce qu’il faudra, et je me l’épouserai dès que l’importance de la bosse, encore la bosse, me forcera de faire la cérémonie. Moi, un enfant de Naïs et de Frédéric, vous pensez si je me le prendrais ! Oh oui alors ! Surtout si c’était une fille… Oh oui Mme Rostaing, je serais assez malhonnête pour çà. Et bien volontiers et sans remords ! Allez ! Assied-toi sur la bosse de Toine ! Seulement vous Mme Rostaing, vous y avez droit avant moi. Alors je vous dis : « emmenez Naïs avec vous. Comme çà, vous pourrez la surveiller. » Peuchère, elle n’a pas besoin de surveillance, mais enfin, il vaut mieux. Comme çà, si ce que je me pense arrivait, vous seriez sûre que çà vous appartient ; tandis que si Naïs reste ici, dans trois mois Mr Rostaing voudra peut-être pas le croire. Quoique un enfant de Frédéric et de Naïs, on pourra le reconnaître du premier coup d’œil ! Ca sera quelque chose à crever l’œil d’un borgne ! Enfin, Mme Rostaing, moi j’ai tout dit, et je veux pas trop insister pour que vous emmeniez Naïs : parce que le plus drôle, c’est que je l’adore ! Je l’adore depuis toujours ! C’est çà le plus drôle !
     
    Mme ROSTAING
     
    Ne riez pas, Toine vous me faites de la peine…
     
    TOINE
     
    Parce que je ris comme un bossu.
     
    Mme ROSTAING
     
    Et ne pensez plus à cette bosse. Vous en parlez beaucoup trop…
     
    TOINE
     
    J’en parle beaucoup, parce que je la remarque souvent. Si je veux dormir sur le dos, j’ai la tête en l’air, comme les tortues. Les tortues, elles ont une chance : c’est qu’elles sont toutes bossues. Tandis que nous…
     
    Mme ROSTAING
     
    Vous, Toine vous n’êtes pas une tortue, et puisque vous avez confiance en ceux qui remplissent leurs devoirs de chrétiens, pourquoi n’allez-vous pas à la messe vous-même ? Vous y trouveriez de grandes consolations…
     
    TOINE
     
    J’y allais quand j’étais petit. J’ai eu le premier prix de catéchisme.
     
    Mme ROSTAING
     
    Et maintenant pourquoi restez-vous sur la place, à m’attendre au lieu de venir prier avec nous ?
     
    TOINE
     
    Parce que depuis que j’ai compris ma bosse je n’ai plus voulu…
     
    Mme ROSTAING
     
    Compris votre bosse ?
     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Toine le bossu : aquarelle de Suzanne Balivet.

     

     

    TOINE

    Je vais vous dire, Mme Rostaing : quand j’étais petit mes parents m’adoraient, et surtout ma grand-mère. J’étais déjà comme je suis, naturellement. Mais moi, je ne le savais pas. Je veux dire que je savais pas la différence qu’il y avait avec les autres : la bosse, c’est traître, çà vous vient par derrière, on la voit pas… Chez les paysans, il n’y a pas d’armoire à glace, on se voit que dans les yeux de sa mère, et naturellement, on s’y voit beau. Et puis un jour, un voisin, qui était très gentil, m’a dit : « Oh le joli petit bossu ! » J’ai demandé à ma grand-mère : « Qu’est-ce que c’est un bossu ? » Alors, elle m’a dit : « C’est vrai que tu es un joli petit bossu, parce que tu as le dos un peu rond. Mais tu es beau quand même, et c’est même à cause de çà qu’on t’aime bien plus que les autres. » Alors je lui ai demandé : « Qu’est-ce que çà veut dire un bossu ? » Alors, elle m’a chanté une vieille chanson. Je me rappelle pas la musique, mais les paroles, çà disait comme çà :

    Un rêve m’a dit une chose étrange,

    Un secret de Dieu qu’on a jamais su,

    Les petits bossus sont de petits anges,

    Qui cachent leurs ailes sous leurs pardessus.

    Voilà le secret des petits bossus…

    C’est joli, mais ce n’est pas vrai. Moi, jusqu’à dix ans je l’ai cru. Je croyais que les ailes me poussaient. Et souvent ma grand-mère me chantait la chanson, qui était beaucoup plus longue que çà… Seulement, les grand-mères, Mme Rostaing, c’est comme le mimosa, c’est doux et c’est frais, mais c’est fragile. Un matin elle n’était plus là. Une bosse et une grand-mère çà va très bien, on peu chanter. Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c’est un bossu tout court. C’est bête, quand même de pleurer comme çà devant tout le monde…

    Extrait de : NAÏS de M. Pagnol, inspiré d’un livre de Jean Giono.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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