• Couleurs de souvenirs...

     

     

     

     

     

    Littérature

     

     

    Autour de ces tiges fanées, une fresque odorante de souvenirs…

     

    Préparation du tilleul du matin…

     

     

    Dans la chambre voisine, j’entendais ma tante qui parlait toute seule à mi-voix. […]

    Au bout d’un moment j’entrais l’embrasser ; Françoise faisait infuser son thé ; ou, si ma tante se sentait agitée, elle demandait à la place sa tisane et c’était moi qui étais chargé de faire tomber du sac de pharmacie dans une assiette la quantité de tilleul qu’il fallait mettre ensuite dans l’eau bouillante. Le dessèchement des tiges les avait incurvées en un capricieux treillage dans les entrelacs duquel s’ouvraient les fleurs pâles, comme si un peintre les eût rangées, les eût fait poser de façon la plus ornementale. Les feuilles, ayant perdu ou changé leur aspect, avaient l’air des choses les plus disparates, d’une aile transparente de mouche, de l’envers blanc d’une étiquette, d’un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d’un nid. Mille petits détails inutiles – charmante prodigalité  du pharmacien – qu’on eût supprimés dans une préparation factice, me donnaient comme un livre où on s’émerveille de rencontrer le nom d’une personne de connaissance, le plaisir de comprendre que c’était bien des tiges de tilleuls, comme ceux que je voyais avenue de la Gare, modifiées, justement parce que c’étaient non des doubles, mais elles-mêmes et qu’elles avaient vieilli. Et chaque caractère nouveau n’y étant que la métamorphose d’un caractère ancien, dans de petites boules grises je reconnaissais les boutons verts qui ne sont pas venus à terme ; mais surtout l’éclat rose, lunaire et doux qui faisait se détacher les fleurs dans la forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues comme de petites roses d’or – signe, comme la lueur qui  révèle encore sur une muraille la place d’une fresque effacée, de la différence entre les parties de l’arbre qui avaient été « en couleur » et celle qui ne l’avaient pas été – me montrait que ces pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps.

    Cette flamme rose de cierge, c’était leur couleur encore, mais à demi éteinte et assoupie dans cette vie diminuée qu’était la leur maintenant et qui est comme le crépuscule des fleurs. […]

    Marcel PROUTS, Du côté de chez Swann.

     

    Avec ces branches de tilleul, tombées du sac de pharmacie, Proust nous fait découvrir des tableaux, des paysages lunaires, et des œuvres d’art, je n’aurais jamais pensé à tout cela, lorsque chez la mère de mon mari, nous prenions le soir une infusion de tilleul de son jardin qu’elle avait fait sécher. Pour moi, cela n’était que des feuilles sèches et odorantes…

    Liviaaugustae


  • Commentaires

    1
    Mardi 12 Novembre 2013 à 15:44
    rouergat.

    Bonsoir Livia

     J'ai un magnifique tilleul (de Hongrie-Je croit) devant ma maison; Nous profitons de son ombre mais pas amateur de tisane 

    2
    Mardi 12 Novembre 2013 à 16:12

    Bonjour rouergat,

    Je ne suis pas très amatrice de tisane, mais quand une grande baraque est mal chauffée, le soir cela fait du bien! Je n'en bois plus depuis longtemps...

    Mais la description de proust de ces tiges et fleurs de tilleul fanées est extraordinaire!

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