Plumes bercées par l’air du
temps…
Nous
y sommes. Vous y êtes.
Le
printemps a cette élégance d’habiller les arbres et de dévêtir les femmes. Remonter une rue à bicyclette est sans doute l’une des dernières voluptés urbaines. Il y a là comme une accélération,
un haut-le-cœur effronté et patient. Les ourlets des jupes, le pincement des chemisiers, l’entrevoyure d’un boutonnage, le poudré d’un maquillage, les cheveux en liberté : l’effet vague et
leur reflet dans les devantures. S’il n’y avait qu’elles à vous regarder, vous révéler, vous relever…
Le
printemps est la saison où les femmes semblent se dérober. Elles s’allègent, ajourent leur robe, la retire en exclusivité. Dérober, cela signifie
sans doute ravir. Vous glissez alors dans nos fibres les plus vulnérables. Non point le mémoire (brave cétacé endormi sur la grève), pas encore le cœur (en constant ravalement). Mais l’œil et
ses mensonges, ses folies et ses adorations. L’œil est sans vergogne, il ne pense pas. Il voit. Stoke. Joue. Pivote. Ausculte. Voilà sans doute pourquoi vous allégez la monture, fuyez
faussement les regards car ceux-ci vous menottent, vous fixent, vous retiennent à l(occasion. Ils sont sans vergogne car vous n’y pouvez rien (menteuses !), et nous encore moins. L’œil est
le dernier élément libre de notre corps. On ne les fait plus baisser comme naguère. Voilà pourquoi vous accélérez le pas, les pulsations du cœur.
Les
habits de printemps sont la fin d’un camouflage rassurant. Vous vous laissiez alors approcher, on pouvait même vous prendre dans les bras, vous secouer comme un sapin de neige, rigoler
entrelacés.
Maintenant,
avouez-le, c’est plus délicat. Nous approchons l’épiderme, le sens et l’essence.
On
approche le tumulte, l’effroi, le chaud. Les vêtements du printemps sont une sorte de chanson courte et entêtante. On se retourne sur vous, vous laissez un sillage et son image. Vous nous
laissez traverser sur le pointillé d’une couture, le passage piéton – passage au vert, puis au rouge.
Mais
ce qu’il y de plus terrible dans les rues du printemps, c’est que déjà elles préfigurent celles de l’été.
François
SIMON
Extrait
de : Madame Figaro