OPHELIE.
Ophélie
(1851-1852) : de J.E. MILLAIS
(Tate
Gallery Londres)
I
Sur
l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La
blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte
très lentement, couchée en ses longs voiles…
On
entend dans les bois de lointains hallalis…
Voici
plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe,
fantôme blanc sur le long fleuve noir :
Voici
plus de mille ans que sa douce folie
Murmure
sa romance à la brise du soir…
Le vent
baise ses seins et déploie en corolle
Ses
longs voiles bercés mollement par les eaux :
Les
saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son
grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les
nénuphars froissés soupirent autour d’elle :
Elle
éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque
nid d’où s’échappe un léger frisson d’aile
Un
chant mystérieux tombe des astres d’or…
II
O pâle
Ophélia ! Belle comme la neige !
Oui tu
mourus, enfant, par un fleuve emporté !
C’est
que les vents tombants des grands monts de Norwège
T’avait
parlé tout bas de l’âpre liberté ;
C’est
qu’un souffle du ciel, tordant ta chevelure,
A ton
esprit rêveur portait d’étranges bruits :
Que ton
cœur entendait le cœur de la Nature
Dans
les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;
C’est
que la voix des mers, comme un immense râle,
Brisait
ton sein d’enfant trop humain et trop doux ;
C’est
qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un
pauvre fou s’assit, muet, à tes genoux !
Ciel !
Amour ! Liberté ! Quel rêve, O pauvre folle !
Tu te
fondais à lui comme une neige au feu :
Tes
grandes visions étranglaient ta parole
Un
infini terrible égara ton œil bleu !...
III
Et le
poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu
viens chercher la nuit les fleurs que tu cueillis,
Et
qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La
blanche Ophélia flotter comme un grand lys.
ARTHUR
RIMBAUD (15 mai 1870)
Ophélie
de J. W. WATERHOUSE (1894)
(Collection
Schaeffer Sydney)
Poème
inspiré de la pièce de W. SHAKESPEARE :
Hamlet, acte IV scène V
(Voici
du romarin ; c’est pour le souvenir. De grâce, amour, souvenez-vous.)