• Poèmes.

     

     

     

     

     

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    La Grande Odalisque, (détail)

     Huile sur toile de Jean Auguste Dominique Ingres (1814)

    (Musée du Louvre)

     

     

     

    LE POEME DE LA FEMME MARBRE DE PAROS.

     

    Un jour, au doux rêveur qui l’aime,

    En train de montrer ses trésors,

    Elle voulut lire un poème,

    Le poème de son beau corps.

     

    D’abord, superbe et triomphante

    Elle vint en grand apparat,

    Traînant avec des airs d’Infante

    Un flot de velours nacarat :

     

    Tel qu’au rebord de sa loge

    Elle brille aux italiens,

    Ecoutant passer son éloge

    Dans les chants des musiciens.

     

    Ensuite, en sa verve d’artiste,

    Laissant tomber l’épais velours,

    Dans un nuage de batiste

    Elle ébaucha ses fiers contours.

     

    Glissant de l’épaule à la hanche,

    La chemise aux plis nonchalants,

    Comme une tourterelle blanche

    Vint s’abattre sur ses pieds blancs.

     

    Pour Apelle ou pour Cléomene,

    Elle semblait, marbre de chair,

    En Vénus Anadyomene

    Poser nue au bord de la mer.

     

    De grosses perles de Venise

    Roulait au lieu de gouttes d’eau,

    Grain laiteux qu’un rayon irise,

    Sur le frais satin de sa peau.

     

    Oh ! Quelles ravissantes choses,

    Dans sa divine nudité,

    Avec les strophes de ses poses,

    Chantait cet hymne de beauté !

     

    Comme les flots baisant le sable

    Sous la lune aux tremblants rayons,

    Sa grâce était intarissable

    En molles ondulations.

     

    Mais bientôt, lasse d’art antique,

    De Phidias et de Vénus,

    Dans une autre stance plastique

    Elle groupe ses charmes nus.

     

    Sur un tapis de cachemire,

    C’est la sultane du sérail,

    Riant au miroir qui l’admire

    Avec un rire de corail ;

     

    La Géorgienne indolente,

    Avec son souple narguilhé,

    Etalant sa hanche opulente,

    Un pied sous l’autre replié.

     

    Et comme l’odalisque d’Ingres,

    De ses reins cambrant les rondeurs

    En dépit des vertus malingres,

    En dépit des maigres pudeurs !

     

    Paresseuse odalisque, arrière !

    Voici le tableau dans son jour,

    Le diamant dans sa lumière ;

    Voici la beauté dans l’amour !

     

    Sa tête penche et se renverse

    Haletante, dressant les seins,

    Au bras du rêve qui la berce,

    Elle tombe sur ses coussins.

     

    Ses paupières battent des ailes

    Sur leurs globes d’argent bruni,

    Et l’on voit monter ses prunelles

    Dans la nacre de l’infini.

     

    D’un linceul de point d’Angleterre

    Que l’on recouvre sa beauté :

    L’extase l’a prise à la terre ;

    Elle est morte de volupté !

     

    Que les violettes de Parme,

    Au lieu des tristes fleurs des morts

    Où chaque perle est une larme,

    Pleure en bouquet sur son corps !

     

    Et que mollement on la pose

    Sur son lit, tombeau blanc et doux,

    Où le poète, à la nuit close,

    Ira prier à deux genoux.

     

    THEOPHILE GAUTIER (extrait de Emaux et Camée 1852)

     

     

     

     

     


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