• Empereurs Romains

     
     
     
     
     
    JULIEN  DIT : « L’ASPOSTAT »
     
     
    Une nuit de 337 au palais de Constantinople. Dans leur chambre, deux gamins qui dorment. Gallus, 11 ans, très malade ; Julien, son demi-frère, 5 ans. Réveillés en sursaut, Julien, terrifié, s’est caché à temps. Des soldats sont entrés. Il entend une grosse voix : « Non, celui-là tu le laisses : il crèvera bien tout seul ! ».
    Le commando repart, le silence retombe. Julien sort de la chambre. Sur les dalles du palais, une quinzaine de corps. Entre autres, son père, un oncle, un frère, des cousins… Pourquoi ce massacre ? Une sombre histoire entre les trois fils du défunt Constantin et leurs demi-frères et neveux. Les premiers redoutaient que les second, naguère évincés de la pourpre, ne la veuillent reprendre. Bref, une opération préventive. A qui profite le crime ? A Constance II, bien sûr, l’Empereur chrétien qui ne s’embarrasse pas de l’esprit des Evangiles.
    Pour Julien, tout commence donc par un carnage familial. Cela n’arrangeait pas Constance que les deux jeunes s’en soient tirés. Faute de pouvoir les occire en toute discrétion, il expédia Gallus, entre temps guéri, on ne sait trop où, et Julien chez sa grand-mère à Nicomédie, aujourd’hui Izmir en Turquie. Ce fut sa chance. Mardonios, son précepteur, un eunuque chrétien, était fou d’Homère et d’Hésiode, et s’est dans leurs livres que Julien apprit à lire, à écrire et… à penser. Dans sa tête de gosse, Ulysse, Jésus, Héra, Marie, les apparitions des uns, les métamorphoses des autres, se mêlaient sans problème. Les plus belles années de sa jeunesse : il le dit.
    Cinq ans plus tard, les deux frères se retrouvent en résidence surveillée, ô combien ! Dans la forteresse de Macellum, dans les montagnes de Cappadoce.
     
     
     
     
    numérisation0002Solidus de Constance II (337-361)
     
     
     
    Cousin Constance pensait à tout. Il attachait  une trop grande importance à l’éducation chrétienne des deux adolescents. En effet, pour les écarter définitivement du trône, quoi de mieux que d’en faire… Des prêtres ? Il en avait chargé Georges d’Ancyre, un ecclésiastique qui avant de se vouer au commerce des âmes c’était enrichi dans celui des porcs, dont il vendait la viande aux armées. Mais il avait la confiance de l’Empereur. Point positif : sa superbe bibliothèque, où Julien s’arrangeait pour passer le plus clair de son temps. Gallus, lui faisait du sport. Pour Julien, ce fut la révélation, et sur bien des plans. La philosophie d’abord : Platon, Aristote, les Stoïciens. C’était donc dans la lumière des Dieux d’Homère que s’était éveillée leur pensée. De ces Dieux dont il entendait encor Mardonios lui parler.
     
    Et puis, il y avait l’histoire de Rome, et voilà qu’à scruter ces textes lui apparaissaient les raisons de cette nuit de 337. Bien sûr : c’était à son père que revenait la pourpre, et un jour à Gallus ou à lui. Oncle Constantin avait bel et bien usurpé le trône, renié les Dieux, et ses fils avaient cette nuit-là exterminé tous les siens, les manquant eux-mêmes de peu. Bref, la famille des Atrides qui serait allée à la messe. C’est ainsi que les mois passant à méditer, Julien adolescent se découvrit un beau jour, dans le secret de son âme, revenu aux Dieux d’Homère, d’Hésiode, de Platon, de Virgile. Apostasie ? Retour aux sources, plutôt, d’une âme en peine à l’enfance tragique. Passons sur les aventures des deux frères, que Constance II, empêtré dans les guerres sans fin d’un Empire en déclin, se résigna, faute de mieux, à prendre successivement comme adjoints. Successivement car Gallus, qui bien imprudemment avait tenté de (doubler) Constance, fut décapité sans délais. Peu après l’Empereur faisait de Julien son César dans les Gaules, alors fort agitées. Cette intellectuel se révéla un si bon général qu’une nuit de février 360, à Lutèce, ses troupes, que Constance voulait rappeler et qui n’y tenaient pas, l’acclamèrent Empereur.
     
    Pour Julien, pas de doute : la providence des Dieux lui restituait l’héritage de ses ancêtres. Par chance, Constance II, à qui la chose n’avait guère plu décédait peu après.
     
    Le 11 décembre 361, Julien Auguste entrait solennellement dans Constantinople. C’était comme un rêve éveillé, illuminé de pieux fantasmes. Il se voyait réalisant l’image du souverain idéal selon Homère, selon Platon… Il était le Pontife mandaté par l’Olympe pour restaurer la gloire bafouée des Dieux. Cela dit, selon les historiens sérieux, parmi lesquels des chrétiens, ce fût un règne honnête, à part quelques maladresses et une bavure : interdire d’enseignement les intellectuels chrétiens. Mais un siècle et demi plus tard, le très chrétien Justinien estima intelligent de déclarer : « Nous interdisons qu’aucun enseignement soit professé par ceux qui sont malades de la folie sacrilège des Hellènes », et là-dessus, il ferma l’école d’Athènes. Toujours est-il que Julien, contrairement à ce qu’on raconte, n’a jamais vraiment persécuté les chrétiens.
     

     

     

     

     

     

    numérisation0001Sculpture de Julien Ier « dit l’Apostat » IVe siècle après J.C.

    (Musée du Louvre)

     

    Le 26 juin 363, il trouvait la mort sur le front Perse, au cours d’une expédition ratée. Après cet intermède païen de 18 mois, l’Empire Constantinien était redevenu chrétien comme devant, et Julien serait pour les siècles le héros d’une légende noire fabriquée de toutes pièces, ou plus d’un auteur écornera sa propre réputation de sainteté, ou plus simplement d’objectivité historique.

    Julien n’avait pas rencontré le Christ : il n’avait rencontré que des chrétiens.

    Lucien Jerphagnon

    Extrait de : De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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