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    MESSAGE IMMUABLE.

     

     

    Lors d’un séjour récent à Rome, j’ai aperçu brièvement le Pape Benoît XVI, debout dans sa voiture, saluant de la main une foule innombrable et fervente devant Saint Jean de Latran. En ces mêmes lieux, depuis la nuit des temps chrétiens, les papes ont séjourné jusqu’à la construction de la basilique Saint-Pierre. Ca fait un sacré bail.

    Aucune autre institution humaine ne peut se prévaloir d’une pérennité telle, d’autant plus inouïe que les papes, au long des siècles, ont commis à peu près toutes les turpitudes imaginables. Il y en eut certes d’honorables, de vénérables et même de saints (et depuis Léon XIII, aucun  n’a déshonoré son magistère). Mais auparavant, nombres d’évêques de Rome furent vénaux, infatués et politicards, éventuellement truands, assassins à l’occasion. Maintes fois le peuple romain les a maudits, sans que sa piété fût entamée pour autant. A bas le mauvais Pape qui nous quitte pour rejoindre Lucifer et vive celui que l’on vient d’élire.

    Vingt siècles après le martyre de Saint-Pierre, il y a toujours un pape à Rome, toujours des foules pour l’acclamer et sur les cinq continents, un milliard de fidèles lui confient peu ou prou le gardiennage de leur âme. Dieu sait pourtant que le monde a changé du tout au tout. Il change de plus en plus vite ; or, les obsèques de Jean-Paul II et l’intronisation de son successeur ont focalisé le système médiatique, mobilisé les puissances temporelles et bouleversé les opinions publiques ? Pourquoi ? Au royaume de l’éphémère, la ferveur des masses ne manque pas d’exutoires ; on rémunère surabondamment leurs appétences au sacré : stars du football ou du cinéma, princesses en tout genre, etc. Mais ces idoles, on les adule et puis on les oublie. De même les engouements idéologiques, de droite, de gauche ou des extrêmes : on les a déjà reniés. Tout change, tout passe, tout éblouit et tout devient poussière au grand galop de la modernité.

    Tout, sauf l’Eglise. Parce que, précisément, son message, aux formes près, est immuable. Rien de plus rassurant pour des êtres déboussolés qu’une permanence qui défie le temps. Les idées valsent et puis s’éclipsent ; le dogme énoncé par un Pape, toujours au même endroit, toujours selon les mêmes cérémonials, ce dogme fixé en gros par Saint Augustin n’a bougé que sur des détails. On peut le revendiquer ou le récuser. Il serait absurde de le jauger à l’aune des critères profanes (conservateur ou progressiste etc.). Le Pape n’est pas un législateur de la cité ; personne n’est tenu de se comporter selon la morale qu’il proclame. Ni d’endosser sa vision de la destinée humaine. Il transmet un legs spirituel et moins il sera captifs des vents de la mode, mieux s’en porteront ceux qui s’en réfèrent. Le miracle de survie de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, c’est son opposition foncière à l’air du temps. Voilà pourquoi, même si je n’étais pas croyant, j’aurais applaudit Benoît XVI, l’autre jour, à Saint Jean de Latran : il tient ferme un cap bimillénaire par la grâce duquel nous sommes encore tant soi peu les héritiers d’une civilisation somme toute admirable.

    DENNIS TILLINAC extrait de : Ce qui reste des jours (La Montagne, 29mai 2005)

     

     

     

     

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    Jean-Paul II nous disait :

    « N’ayez pas peur, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! »

     

     

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    Benoît XVI nous dit :

    « N’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien et il donne tout ! »

     

     


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    SOTTISE!!!

     

     

    CELA ETANT, ALLEZ CONCLURE…

     

     

    Il faudrait pourtant, car c’est l’usage. Mais que dire ? Au terme de cette courte enquête, du moins est-on sûr d’une chose, car en témoigne ces textes : de la sottise on a toujours parlé. Mais est-on pour autant plus avancé ? Oui et non (…)

    Tout le monde semble d’accord, et depuis toujours, pour estimer, dire répéter que les sots sont la majorité. Telle serait, on l’a vu, l’opinion commune. Mais ce qui fait souci, c’est justement la piètre opinion que l’on a… de l’opinion. Cela ressort clairement de l’avertissement tout autant unanime et séculaire : gardez-vous de l’opinion, car car il y a bien des chances qu’elle soit fausse. L’opinion apparaît même, sinon comme le point oméga de la sottise, du moins comme le refuge des gens incapables de « penser par eux-mêmes », comme on se plaît à dire sans trop approfondir (…).

    Ne perdons jamais de vue cette donnée essentielle : toute pensée s’inscrit dans l’air du temps, tout comme la durée unique que vit chacun s’inscrit dans la durée collective. Cela même rend prudent à l’égard de tout ce qui apparaît comme un absolu. De  ce qui apparaît, mais aux yeux de qui et à quel moment ? En fait, tout est là (…).

    De même a-t-on vu que chaque milieu, chaque couche sociale à son style de sottise : « il y a une connerie de classe » me disait fort justement un de mes collègues, homme de gauche lucide. Il semble fatal qu’on soit  toujours  à un moment donné l’imbécile de quelqu’un (…)

    D’un jugement conditionné dans une certaine mesure par l’appartenance à tel milieu, influencé en tout cas par l’opinion qui y règne. Ainsi en est-il, par exemple, du « politiquement correct ». Mais il s’agit d’un jugement que ne vérifie ni n’infirme aucun recours à quelque critère objectif, comme lorsqu’on se réfère à telle règle de géométrie pour résoudre un problème (…)

    Quand Dupont-Lajoie considère Jean Tartemol, disons, comme un imbécile, il n’est pas impossible que Tartemol en pense autant de Dupont-Lajoie, sinon pis, et que Jules Dubois pense de même des deux à la fois (…)

    D’où ce polymorphe à l’infini de la sottise, un mal parmi tant d’autres, décourageant toute prétention à l’enfermer en quelque concept exhaustif, autrement dit de parvenir à un accord universel sur ce que serait en son essence, comme on dit dans le  patois des philosophes,  la sottise. Si quelqu’un avait réussi, cela se saurait (…)

    S’il en va ainsi, le plus sage ne serait-il pas de « faire avec », comme on dit de nos jours ? Au reste,, n’est-ce pas là ce que faisait Horace l’épicurien dans la satire IX, celle qu’on dit « du fâcheux », et que songeant à tel film, on dirait aujourd’hui « de l’emmerdeur » ? C’est ce que fait aussi au jour le jour, comme il le dit au livre II de ses « exercices spirituels », l’Empereur stoïcien Marc-Aurèle. Dès le petit matin il s’attend à rencontrer un casse-pieds, un ingrat, un insolent, un faux-jeton, un envieux, un égoïste… Il eut été bien étonnant qu’il n’attendit pas également la visite de quelque imbécile soucieux de plaire de se faire remarquer du prince, voire de lui suggérer quelque idée politique absolument géniale. Car l’imbécile a ceci de particulier qu’il ne doute jamais de soi, ni du bien-fondé de ses initiatives. Il doit passer de bonnes nuits.

    Pour autant, cette résolution de « faire avec » n’implique en rien la passivité à l’égard de la sottise. IL est toujours bon d’être en alerte, de se tenir aux aguets. Voire de tirer parti de la sottise d’autrui : Lénine parlait des « idiots utiles ». De la sottise on peut même se distraire, comme il ressort du savoureux « dîner de cons » que nous devons à Francis Vever, où le con n’est pas toujours celui qu’on pense. Un film qu’il faut revoir de temps en temps, ne serait-ce que par hygiène (…)

    Des textes que j’ai mis sous les yeux de mes lecteurs, il ressort que nul en ce monde ne peut s’en croire exempté du seul fait d’être lui et pas l’autre ni les autres. Qui se trouverait  à le penser, ne fût-ce qu’instant, démontrerait par là même, et de façon apodictique, que nul parmi les humains ne saurait échapper au péril de la sottise, certains y étant plus exposée que d’autres. On ne démontre jamais si bien le mouvement qu’en marchant.

    LUCIEN JERPHAGNON.

     

     

     

     


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    Vient de paraître.

     

     

    Inspiré par son Dictionnaire amoureux du catholicisme, Denis Tillinac s’est livré au questionnaire de Proust pour la revue « Famille Chrétienne ».

    En voici quelques extraits :

    Où aimez-vous prier ?

    Dans toutes les églises, pourvu qu’une lampe rouge y soit allumée. C’est mon phare, ma vigie, mon refuge. Le fanal de la présence réelle. Si le Saint sacrement m’a posé un lapin, je suis désemparé ; l’église où je me trouve n’est plus qu’un musée de la foi et, du coup, le bonheur de hanter une maison de Dieu se dégrade en plaisir esthétique, autant dire touristique.

     

    Votre hymne cher ?

    Le Veni Creator. Hymne de Pentecôte que l’on chante à Vêpres et dont l’auteur des paroles, un certain Raban Maur, vivait approximativement sous le règne de Charlemagne. J’ignore s’il a écrit aussi la musique. Elle a enrichi ma religiosité d’une qualité d’émotion qui ne doit rien à l’imagination – de l’émotion à l’état de quintessence comme si l’âme évadée du corps, du cœur et de l’esprit, se laissait happer vers un ciel familier. En l’entendant, le Paradis semble se dévoiler.

     

    Le plus grand mal de notre époque ?

    La télévision.

    L’âme française a plus souffert de la télé que de Hitler : elle rend vulgaire, lave le cerveau, amollit l’esprit, abaisse l’âme, racle les égouts et vous les administre en perfusion quotidienne…

     

     

    « Il faut entrer sans appréhension dans ce Dictionnaire qui se lit comme l’on fait l’école buissonnière : avec un plaisir qui est tout sauf scolaire (…) »

    « Avec un humour touchant, il avoue même cultiver l’amitié des prêtres quadragénaires, pour être sûr, en cas de « disette clérical », d’être enterré « dans les règles ».

    J.M BASTIERE

     

     

     

     

     

     


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    LETTRE  GOURMANDE…

     

     

    PAUL REBOUX : (pseudonyme d’André Amillet)

    Ecrivain français. Né le 21 mai 1877 à Paris, mort à Nice le 14 février 1963.

    Il est surtout connu pour ses pastiches, « A la manière de » qu’il composa de 1908 à 1913 avec Charles Müller.

    Mais écrivain prolixe, il a expérimenté tous les moyens d’expressions et fut tour à tour ou en même temps : journaliste, critique littéraire, cinématographique, dramatique, critique culinaire, conférencier radiophonique, et devint même à la fin de ses jours un spécialiste de la radiesthésie. Il a laissé une œuvre d’historien qui eut un grand succès auprès du grand public avant la Seconde Guerre mondiale, et qui sut mêler avec astuce l’anecdote et le romanesque, et donner à certaines figures des siècles passés une présence certaine (…)

    DICTIONNAIRE DES AUTEURS.

     

     

     

     

    La Bonne Cuisine aux Colonies (1931)

     

    Avez-vous jamais été invité à un dîner créole ?  

    Peu de régals sont aussi savoureux.

    Cela débute par le « punch », fait d’eau sucrée au point de devenir presque sirupeuse, et dans laquelle on verse un rhum vieux, mêlé de quelques tranches de citron vert et de glace pilée. Le breuvage est amplement battu et devient quelque chose de mousseux, dont la fraîcheur est délicieuse.

    La table devant laquelle vous irez vous asseoir sera garnie de vastes jardinières de fleurs, où voisineront des barbadines qui semblent des melons roses et brillants ; des goyaves qui empruntent à l’ambre  sa chaude couleur ; des pommes cajou que couronne une noix ; des pommes-cannelles dont la légère pulpe sucrée fond en bouche comme crème chantilly ; des mangues qui mettront parmi ces fruits leur tache d’or. Et, coupole de ce savant édifice, l’ananas-roi dominera le tout de sa silhouette écailleuse.

    Et l’on vous servira du bouillon de crabes, ce bouillon dit : calalou, fait de crabes conservés dans un tonneau,  nourris de pain et de piments qui les aromatisent.

    On vous servira du féroce, c’est-à-dire de la morue grillée, que l’on mange beurrée d’une tranche d’avocat, ce fruit qui ressemble à une sorte de crème, et frottée d’un peu d’huile et de piments-oiseau, cette épice minuscule, mais incendiaire quand on en abuse.

    Des petits beignets rissolés succéderont à cette morue, suivis eux-mêmes d’une énorme taupe, qui forme un succulent plat de gibier sous le nom de manicou.

    Assurément, votre hôte n’omettra pas les vers palmistes, larves de scarabées, que l’on embroche tout vivants, qu’on fait griller, dorer, qu’on arrose de jus de citron et d’échalote, et dont le goût d’amandes s’enrichit des saveurs de l’assaisonnement.

    Une glace au coco terminera le repas.

    Mais ce qui ajoute à l’agrément de ces plats, c’est l’impression d’hospitalité et de cordialité, l’absence de contrainte qui rend si précieux le souvenir d’un repas créole.

    Ajoutez-y ce parfum dont on se sent pénétré après avoir bu l’un de ces cafés de là-bas, préparés selon les anciennes traditions avec de la poudre de grains de café mise dans un sachet pour parfumer une bassine d’eau bouillante.

    Ajoutez enfin un peu de rhum d’habitant, ce rhum exceptionnel que cinquante ans de contact avec la paroi d’une barrique fabriquée en France et d’évaporation parmi les chaleurs tropicales transforment en quelque chose d’extraordinairement aromatique, où la vieille Europe et les chaudes Antilles ont collaboré.

    Après un tel repas, asseyez-vous dans un fauteuil à bascule.

    Dehors il fait très chaud. Les arbres sont immobiles. Le soleil trace sont itinéraire quotidien par un rayon poudroyant  et lumineux qui perce l’ombre où vous vous abritez. Dehors, règne le silence accablé qui caractérise les journées antillaises. Une vielle, là-bas chante une complainte. Une porte de temps en temps, fait entendre son battement.

    La torpeur exquise de la paresse vous gagne. Vous savez bien qu’au dehors, la chaleur est insoutenable et que, là où vous vous trouvez, règne une hospitalière fraîcheur. Le mouvement du fauteuil vous aère tout juste autant qu’il le faut. Vous vous laissez allez à quelque agréable rêverie. Il semble que votre sang s’immobilise. Et  cet arrêt de la vie a quelque chose de voluptueux au même titre que l’arrêt de la vie causé par l’amour, ou dit-on, que l’arrêt de la vie causé par la mort. Vous fermez vos paupières, dont vous percevez encore mollement la rose transparence. La brise du ventilateur rafraîchit votre poitrine découverte. Qu’on est bien ainsi, loin des hommes, loin de la vie, loin de la pensée, dans une béatitude qui n’est plus qu’à demi-consciente, dans une lourdeur qui s’achemine vers le sommeil…

    Pourvu qu’aucun bruit ne vous réveille !... Mais non… Durant la journée aux Antilles, on peut avoir confiance… Personne ne bouge… Personne ne travaille… Laissez-vous donc ensevelir par cette douceur souveraine… laissez-vous couler dans la profondeur ténébreuse… Déjà, vous ne percevez plus rien que la très vague envie consciente d’une absence de perception. Bonne sieste… Assez tôt viendra le réveil.

    La mort heureuse du repos, la mort acceptée et d’où la vie renaîtra, n’est-elle pas, de tous les états de l’être humain, celui qui procure la volupté la plus précieuse ?

     

     Quand Paul Reboux  affirme que là-bas, (on ne sait où ?) personne ne travaille !

     Même en 1931, les gens pour vivre, étaient obligés de travailler… A-t-il fait un voyage imaginaire ?

    Et où a-t-il donc mangé ?

    « La description du féroce, est des plus fantaisiste, quand on la compare au plat réel : une purée à base de morue émiettée et d’avocat écrasé, d’aromates et de semoule de manioc appelée là-bas « farine manioc » qui épaissit le tout. »

    Et les goyaves ? En a-t-il vraiment vue ? Elles sont jaunes quand elles sont mûres, je n’ai jamais vu de  goyave « couleur d’ambre » !  La glace au coco, ne termine pas forcément le repas, d’autres pâtisseries sont servies là-bas…  

     A mon avis cet homme avait fait trop bonne chair et bu un peu trop de « ti punch », pour être dans cet état de petite mort !… 

     

     

     

     


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    MON VIEUX CHIEN.

     

     

    Parfois je lis dans son regard une sorte de tristesse mêlée d’angoisse, comme si le fait même d’exister lui pesait infiniment.

    D’ailleurs, il lui arrive de se blottir contre moi, d’enfoncer sa tête entre mes genoux, avouant ainsi un désir de fusion ; il voudrait fuir ce que les psychologues appellent son individualisation, réintégrer un monde dont son « ego » ne serait pas séparé. C’est sa part métaphysique, j’allais écrire : sa religiosité.

    Aurait-il, sans pouvoir l’exprimer, une nostalgie d’un « avant », autrement dit d’un paradis des origines ? En tout cas, il n’est rassuré que,  lorsqu’ayant fermé la porte, je m’installe dans un fauteuil ou me vautre au lit. Il sait alors que nous sommes ensemble pour un bon moment ; il se couche dans un coin et sommeille d’un œil. L’autre observe, il n’est jamais sûr que la béatitude (lui, moi, univers clos et immobile), ne sera pas menacée. D’ailleurs il choisit presque toujours d’étaler son corps contre la porte – et si je l’enjambe, il se met à grogner - , il a une peur panique que je déserte les lieux.

    C’est un vieux chien. Heidegger prétendait sottement que les animaux n’ont pas de monde, relayant l’idée reçue selon laquelle leur conscience ne se déplace pas dans le temps. Je suis sûr que mon chien est installé dans une attente et nourrit des regrets…

    Quand je rentre à la maison, il vient vers moi en remuant la queue de bonheur. Sauf s’il a commis une connerie. Auquel cas, à peine ai-je ouvert la porte, il grogne, il menace : j’en déduis qu’une culpabilité le ronge et je découvre qu’il a filouté un saucisson sur la table, renversé la poubelle ou pissé sur un tapis, en guise de vengeance (il hait l’enfermement solitaire). Je l’engueule, il grogne de plus belle, furieux d’être coupable, encore plus furieux de notre fâcherie. L’ayant tancé, je feins de l’ignorer et il me suit en gémissant, pour solliciter le fin du conflit. J’y consens en posant ma main sur sa tête et son lamento tourne au jappement d’aise.

    Cet angoissé, névrosé ne semble délivré que lorsque je l’emmène marcher dans les bois. Il renoue alors avec son cerveau reptilien, il retrouve des sensations enfouies depuis des millénaires et dans son regard, je ne lis qu’une ferveur joyeuse. Du moins j’ai lieu de le supposer, car moi aussi, sous les frondaisons, j’éprouve le sentiment de rejoindre un moi intérieur, un moi d’avant la dissociation, j’ai envie de courir, de hurler, de m’ébattre sur la mousse ou d’étreindre les arbres. J’en conclus que nous sommes taillés dans le même bois et embarqués dans la même galère. Comme lui je me sens encombré de moi-même, et désireux de me fondre dans ce que nous appelons Dieu, dans notre patois humain. Comme lui  je tâche de noyer ma culpabilité dans l’agressivité, en vertu du principe selon lequel l’attaque est encore la meilleure. Comme lui j’aime être lové, auprès des miens (femme, enfants, chien et chat), dans la tiédeur d’une maison bien close. Comme lui, j’attends ma délivrance avec un mélange de résignation, de hantise et d’espoir. Et comme lui, je glane des morceaux de bonheur en arpentant des lieux vierges ou qui me paraissent tels.

    DENIS TILLINAC (Ce qui reste des jours)

     

     

     


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