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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

     

     

     

     

    LE HERON

     

     

    Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,

    Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.

    Il côtoyait une rivière.

    L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;

    Ma commère la carpe y faisait mille tours

    Avec le brochet son compère.

    Le Héron en eût fait aisément son profit :

    Tous approchaient du bord, l’oiseau n’avait qu’à prendre ;

    Mais il crut mieux faire d’attendre

    Qu’il eût un peu plus d’appétit.

    Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.

    Après quelques moments l’appétit vint : l’oiseau

    S’approchant du bord vit sur l’eau

    Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.

    Le met ne lui plus pas ; il s’attendait à mieux

    Comme le rat du bon Horace.

    Moi des tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse

    Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?

    La tanche rebutée il trouva du goujon.

    Du goujon ! c’est bien là le dîner d’un Héron !

    J’ouvrirais pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise !

    Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon

    Qu’il ne vit plus aucun poisson.

    La faim le prit, il fut tout heureux et tout aise

    De rencontrer un limaçon.

    Ne soyons pas si difficiles :

    Les plus accommodants ce sont les plus habiles :

    On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

    Gardez-vous de rien dédaigner ;

    Surtout quand vous avez à peu près votre compte.

    Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons

    Que je parle ; écoutez, humains un autre conte ;

    Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons.

     

     

     

     

     

    LA FILLE.

     

    Certaine fille un peu fière

    Prétendait trouver un mari

    Jeune, bien fait et beau, d’agréable manière,

    Point froid et point jaloux ; notez ces deux point-ci.

    Cette fille voulait aussi

    Qu’il eût du bien, de la naissance,

    De l’esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?

    Le destin se montra soigneux de la pourvoir :

    Il vint des partis d’importance.

    La belle les trouva trop chétifs de moitié.

    Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l’on radote je pense.

    A moi les proposer ! hélas ils font pitié.

    Voyez un peu la belle espèce !

    L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse ;

    L’autre avait le nez fait de cette façon-là ;

    C’était ceci, c’était cela,

    C’était tout ; car les précieuses

    Font dessus tous les dédaigneuses.

    Après les bons partis, les médiocres gens

    Vinrent se mettre sur les rangs.

    Elle de se moquer. Ah vraiment je suis bonne

    De leur ouvrir ma porte : Ils pensent que je suis

    Fort en peine pour ma personne.

    Grâce à Dieu, je passe les nuits

    Sans chagrins, quoique en solitude.

    La belle se sut gré de tous ces sentiments.

    L’âge la fit déchoir : adieu tous les amants.

    Un an se passe et deux avec inquiétude.

    Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour

    Déloger quelque ris, quelque jeux, puis l’amour ;

    Puis ses traits choquer et déplaire ;

    Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire

    Qu’elle échappât au temps cet insigne larron :

    Les ruines d’une maison

    Se peuvent réparer ; que n’est cet avantage

    Pour les ruines du visage !

    Sa préciosité changea lors de langage.

    Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.

    Je ne sais quel désir le lui dit aussi ;

    Celle-ci fit un choix qu’on aurait jamais cru,

    Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse

    De rencontrer un malotru.

     

     

     

     

     

     

     

     


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    FABLE DE LAFONTAINE.

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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

    LE CHAT ET LES DEUX MOINEAUX

    (A Monseigneur le Duc de Bourgogne)

     

     

    Un chat contemporain d’un fort jeune moineau

    Fut logé près de lui dès l’âge du berceau ;

    La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.

    Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau :

    L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.

    Ce dernier toutefois épargnait son ami.

    Ne le corrigeant qu’à demi

    Il se fût un grand scrupule

    D’armer de pointes sa férule.

    Le Passereau moins circonspect,

    Lui donnait force coups de bec.

    En sage et discrète personne,

    Maître Chat excusait ces jeux :

    Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne

    Aux traits d’un courroux sérieux.

    Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,

    Une longue habitude en paix les maintenait ;

    Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;

    Quand un moineau du voisinage

    S’en vint les visiter, et se fit compagnon

    Du pétulant Pierrot et du sage Raton.

    Entre les deux oiseaux il arriva une querelle ;

    Et  Raton de prendre parti.

    Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle

    D’insulter ainsi notre ami !

    Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?

    Non, de par tous les Chats ! Entrant lors du combat,

    Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,

    Les Moineaux ont un goût exquis et délicat !

    Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

    Quelle Morale puis-je inférer de ce fait ?

    Sans cela toute Fable est un œuvre imparfait.

    J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,

    Prince, vous les aurez incontinent trouvés :

    Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;

    Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

     

     

     

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    LOUIS de FRANCE : Duc de Bourgogne Dauphin.

    Par Joseph VIVIEN 1700 (Musée du Louvre)

     

     

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    Marie-Adélaïde de Savoie Duchesse de Bourgogne Dauphine.

    Par Jean-Baptiste SANTERRE 1711 (Château de Versailles)

     

     

     

    numérisation0003

    LOUIS XV âgé de cinq ans.

    Par Hyacinthe RIGAUD 1715 (Château de Versailles)

     

     

     

    Le duc de Bourgogne devient Dauphin à la mort de son père, Monseigneur. Il épouse la Dauphine en décembre 1697, en vertu de la paix séparée conclue à Turin l’année précédente. C’est un mariage arrangé, mais ils tombent amoureux l’un de l’autre. Ils auront deux enfants : le petit duc de Bretagne, qui mourra à la suite de ses parents en 1712 d’une rougeole, heureusement la gouvernante, Mme de Ventadour, va sauver la descendance royale de Louis XIV, en arrachant des mains des médecins ignorants, le survivant de deux ans : le duc D’Anjou, futur Louis XV. Qui devient roi à l’âge de cinq ans.

     

     

     

     


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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

     

    L’ELEPHANT ET LE SINGE DE JUPITER.

     

    Autrefois l’Eléphant et le Rhinocéros,

    En dispute du pas et des droits de l’Empire,

    Voulurent  terminer la querelle en champ clos.

    Le jour en était pris, quand quelqu’un vint leur dire

    Que le singe de Jupiter,

    Portant un caducée, avait paru dans l’air.

    Ce singe avait nom Gille, à ce que l’histoire.

    Aussitôt l’Eléphant de croire

    Qu’en qualité d’Ambassadeur

    Il venait trouver sa grandeur.

    Tout fier de ce sujet de gloire,

    Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent

    A lui présenter sa créance.

    Maître Gille enfin, en passant,

    Va saluer son Excellence.

    L’autre était préparé sur la légation ;

    Mais pas un mot : l’attention

    Qu’il croyait que les Dieux eussent à sa querelle

    N’agitait pas encor chez eux cette nouvelle.

    Qu’importe à ceux du Firmament

    Qu’on soit Mouche ou bien Eléphant ?

    Il se vit donc réduit à commencer lui-même :

    Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu

    Un assez beau combat, de son Trône suprême.

    Toute sa cour verra beau jeu.

    Quel combat ? dit le singe avec un front sévère.

    L’Eléphant repartit : Quoi ! vous ne savez pas

    Que le Rhinocéros me dispute le pas ;

    Qu’Eléphantide a guerre avec Rhinocéros ?

    Vous connaissez ces lieux, ils ont quelque renom.

    Vraiment je suis ravi d’en apprendre le nom,

    Repartit Maître Gille : on ne s’entretient guère

    De semblables sujets dans nos vastes lambris.

    L’Eléphant, honteux et surpris,

    Lui dit : Et parmi nous que venez-vous donc faire ?

    Partager un brin d’herbe entre quelques Fourmis :

    Nous avons soin de tout. Et quand à votre affaire,

    On n’en dit rien encor dans le conseil des Dieux :

    Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.

     

     

     

     

     


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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

     

    JUPITER ET LES TONNERRES.

     

    Jupiter voyant nos fautes,

    Dit un jour du haut des airs :

    Remplissons de nouveaux hôtes

    Les cantons de l’Univers

    Habités par cette race

    Qui m’importune et me lasse.

    Va-t-en, Mercure, aux enfers :

    Amène-moi la furie

    La plus cruelle des trois.

    Race que j’ai trop chérie,

    Tu périras cette fois.

    Jupiter ne tarda guère

    A modérer son transport.

    O vous Rois qu’il voulut faire

    Arbitres de notre sort,

    Laissez entrer la colère

    Et l’orage qui la suit

    L’intervalle d’une nuit.

    Le Dieu dont l’aile est légère,

    Et la langue a des douceurs,

    Alla voir les noires Sœurs.

    A Tisiphone et Mégère

    Il préféra, ce dit-on,

    L’impitoyable Alecton.

    Ce choix la rendit si fière,

    Qu’elle jura par Pluton

    Que toute l’engeance humaine

    Serait bientôt du domaine

    Des déités de là-bas.

    Jupiter n’approuva pas

    Le serment de l’Euménide.

    Il la renvoie, et pourtant

    Il lance un foudre à l’instant

    Sur certain peuple perfide.

    Le tonnerre ayant pour guide

    Le père même de ceux

    Qu’il menaçait de ses feux,

    Se contenta de leur crainte ;

    Il n’embrasa que l’enceinte

    D’un désert inhabité.

    Tout père frappe à côté.

    Qu’arriva-t-il ? Notre engeance

    Prit pied sur cette indulgence.

    Tout l’Olympe s’en plaignit ;

    Et l’assembleur de nuages

    Jura le Styx, et promit

    De former d’autres orages ;

    Ils seraient sûrs. On sourit :

    On lui dit qu’il était père,

    Et qu’il laissât pour le mieux

    A quelqu’un des autres Dieux.

    D’autres tonnerres à faire.

    Vulcain entreprit l’affaire.

    Ce Dieu remplit ses fourneaux

    De deux sortes de carreaux.

    L’un jamais ne se fourvoie,

    Et c’est celui que toujours

    L’Olympe en corps nous envoie.

    L’autre s’écarte en son cours ;

    Ce n’est qu’aux monts qu’il en coûte ;

    Bien souvent même s’il perd,

    Et ce dernier en sa route

    Nous vient du seul Jupiter.

     

     


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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

     

    JUPITER ET LE PASSAGER.

     

    O combien le péril enrichirait les Dieux,

    Si nous nous souvenions des vœux qu’il nous fait faire !

    Mais, le péril passé, l’on ne se souvient guère

    De ce qu’on a promis aux Cieux :

    On compte seulement ce qu’on doit à la terre.

    Jupiter, dit l’impie, est un bon créancier :

    Il ne se sert jamais d’huissier.

    Eh ! qu’est-ce donc que le tonnerre ?

    Comment appelez-vous ces avertissements ?

    Un Passager, pendant l’orage,

    Avait voué cent bœufs au vainqueur des Titans.

    Il n’en avait pas un : vouer cent éléphants

    N’aurait pas coûté d’avantage.

    Il brûla quelques os quand il fut au rivage.

    Au nez de Jupiter la fumée en monta.

    Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu ; le voilà :

    C’est un parfum de bœuf que ta grandeur respire.

    La fumée est ta part : je ne te dois plus rien.

    Jupiter fit semblant de rire ;

    Mais en quelques jours le Dieu le rattrapa bien,

    Envoyant en songe lui dire

    Qu’un tel trèsor était en tel lieu. L’homme au vœu

    Courut au trésor comme au feu :

    Il trouva des voleurs, et n’ayant dans sa bourse

    Qu’un écu pour toute ressource,

    Il leur promit cent talents d’or,

    Bien comptés, et d’un tel trésor :

    On l’avait enterré dedans telle bourgade.

    L’endroit paru suspect aux voleurs, de façon

    Qu’à notre prometteur l’un dit : Mon camarade,

    Tu te moques de nous, meurs, et va chez Pluton

    Porter tes cent talents en don.

     

     

     

     

     


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