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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

     

    LES FILLES DE MINNEE.

    (Sujet tiré des métamorphoses d’Ovide)

     

    Je chante dans ces vers les filles de Minnée,

    Troupe aux arts de Pallas dès l’enfance adonnée,

    Et de qui le travaille fit entrer en courroux,

    Bacchus, à juste droit de ses honneurs jaloux.

    Tout dieu veut aux humains se faire reconnaître :

    On ne voit point les champs répondre aux soins du maître,

    Si dans les jours sacrés, autour de ses guérets,

    Il ne marche en triomphe à l’honneur de Cérès.

    La Grèce était en jeux pour le fils de Sémèle ;

    Seule on vit trois sœurs condamner ce saint zèle.

    Alcithoé, l’aînée, ayant pris ses fuseaux,

    Dit aux autres : Quoi donc ! toujours des dieux nouveaux !

    L’Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,

    Ni l’an fournir de jours assez pour tant de fêtes.

    Je ne dis rien des vœux dus aux travaux divers

    De ce dieu qui purgea de monstres l’univers :

    Mais à quoi sert Bacchus, qu’à causer des querelles ?

    Affaiblir les plus sains ? enlaidir les plus belles ?

    Souvent mener au Styx par de tristes chemins ?

    Et nous irions chommer la peste des humains ?

    Pour moi, j’ai résolu de poursuivre ma tâche.

    Se donne qui voudra ce jour-ci du relâche :

    Ces mains n’en prendront point. Je suis encor d’avis

    Que nous rendions le temps moins long par des récits :

    Toutes trois, tour à tour, racontons quelque histoire.

    Je pourrais retrouver sans peine en ma mémoire

    Du monarque des dieux les divers changements ;

    Mais, comme chacun sait tous ces évènements,

    Disons ce que l’amour inspire à nos pareilles,

    Non toutefois qu’il faille, en contant ces merveilles,

    Accoutumer nos cœurs à goûter son poison ;

    Car, ainsi que Bacchus, il trouble la raison :

    Récitons-nous les maux que ses biens nous attirent.

    Alcithoé se tut, et ses sœurs applaudirent.

     

     

     

     


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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

    LE GLAND ET LA CITROUILLE.

     

     

    Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve

    En tout cet Univers, et l’aller parcourant,

    Dans les Citrouilles je la treuve.

    Un villageois considérant,

    Combien ce fruit est gros et sa tige menue :

    A quoi songeait dit-il l’Auteur de tout cela ?

    Il a bien mal placé cette Citrouille là !

    Hé parbleu ! Je l’aurais pendu

    A l’un des chênes que voilà.

    C’eut été justement l’affaire ;

    Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

    C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré

    Au conseil de celui que prêche ton curé :

    Tout en eut été mieux ; car pourquoi, par exemple,

    Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt,

    Ne pend-t-il pas en cet endroit ?

    Dieu s’est mépris : plus je contemple

    Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo

    Que l’on a fait un quiproquo.

    Cette réflexion embarrassant notre homme :

    On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit.

    Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.

    Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit.

    Il s’éveille ; et portant la main sur son visage,

    Il trouve encore le Gland pris au poil du menton.

    Son nez meurtri le force à changer de langage ;

    Oh, oh, dit-il, je saigne ! Et que serait-ce donc

    S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde,

    Et que ce Gland eut été gourde ?

    Dieu ne l’a pas voulu : sans doute il eut raison ;

    J’en vois bien à présent la cause

    En louant Dieu de toute chose,

    Garo retourne à la maison.

     

     

     

     

     

     

     


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    numérisation0009

    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

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    Le Duc du Maine et sa sœur  Melle de Nantes en Pâris et Vénus

    (Peint par François de Troy 1691 Musée du Louvre)

     

     

    Louis Auguste de Bourbon, prince français, né à Saint-Germain en 1670, est le fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, légitimé en 1673 et marié à la petite-fille du grand Condé. Reconnut par Louis XIV apte à gouverner, à défaut de prince légitime en 1714. Après la cassation du testament du roi il fut déchut de toutes ses fonctions par le régent, Philippe d’Orléans, (père de Philippe égalité) qui vota la mort de son cousin Louis XVI.

     

     

     

    LES DIEUX VOULANT INSTRUIRE
    UN FILS DE JUPITER.

    Pour Monseigneur Le duc Du Maine.

     

     

    Jupiter eut un fils, qui, se sentant du lieu

    Dont il tirait son origine,

    Avait l’âme toute divine.

    L’enfance n’aime rien : celle du jeune Dieu

    Faisait sa principale affaire

    Des doux soins d’aimer et de plaire.

    En lui l’amour et la raison

    Devancèrent le temps, dont les ailes légères

    N’amènent que trop tôt, hélas ! chaque saison.

    Flore aux regards riants, aux charmantes manières,

    Toucha d’abord le cœur du jeune Olympien.

    Ce que la passion peut inspirer d’adresse,

    Pleurs, soupirs, tout en fut : bref, il n’oublia rien.

    Le fils de Jupiter devait par sa naissance

    Avoir un autre esprit, et d’autres dons des Cieux.

    Que les enfants des autres Dieux.

    Il semblait qu’il n’agît que par réminiscence,

    Et qu’il eût autrefois fait le métier d’amant,

    Tant il le fit parfaitement.

    Jupiter cependant voulut le faire instruire.

    Il assembla les Dieux, et dit : j’ai su conduire

    Seul et sans compagnon jusqu’ici l’Univers ;

    Mais il est des emplois divers

    Qu’aux nouveaux Dieux je distribue.

    Sur cet enfant chéri j’ai donc jeté la vue :

    C’est mon sang ; tout est plein déjà de ses Autels.

    Afin de mériter le rang des immortels,

    Il faut qu’il sache tout. Le maître du tonnerre

    Eut à peine achevé, que chacun applaudit.

    Pour savoir tout, l’enfant n’avait que trop d’esprit.

    Je veux, dit le Dieu de la guerre,

    Lui montrer moi-même cet art

    Par qui maints héros ont eu part

    Aux honneurs de l’Olympe et grossi cet empire.

    Je serai son maître de lyre,

    Dit le blond et docte Apollon.

    Et moi, reprit Hercule à la peau de lion,

    Son maître à surmonter les vices,

    A dompter les transports, monstres empoisonneurs,

    Comme Hydres renaissants sans cesse dans les cœurs :

    Ennemi des molles délices,

    Il apprendra de moi les sentiers peu battus

    Qui mènent aux honneurs sur les pas des vertus.

    Quand ce vint au Dieu de Cythère,

    Il dit qu’il lui montrerait tout.

    L’Amour avait raison : de quoi ne vient à bout

    L’esprit joint au désir de plaire ?

     

     

     

     


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    FABLE DE LAFONTAINE.

     

     

     

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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

    LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON.

     

    Le Paon se plaignait à Junon :

    Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison

    Que je me plains, que je murmure :

    Le chant dont vous m’avez fait don

    Déplait à toute la Nature ;

    Au lieu qu’un Rossignol, chétive créature,

    Forme des sons aussi doux qu’éclatants,

    Est lui seul l’honneur du Printemps.

    Junon répondit en colère :

    Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,

    Est-ce à toi d’envier la voix du Rossignol,

    Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col

    Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies ;

    Qui te panades, qui déploies

    Une si riche queue, et qui semble à nos yeux

    La boutique d’un Lapidaire ?

    Est-il quelque oiseau sous les Cieux

    Plus que toi capable de plaire ?

    Tout animal n’a pas toutes propriétés.

    Nous vous avons donné diverses qualités :

    Les uns ont la grandeur et la force en partage ;

    Le Faucon est léger, et l’Aigle plein de courage ;

    Le Corbeau sert pour le présage,

    La Corneille avertit des malheurs à venir ;

    Tous sont contents de leur ramage.

    Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir,

    Je t’ôterai ton plumage.

     

     

     

    Les hommes non plus ne sont contents de leur sort, ils voudraient avoir ce qu’a le voisin, tout en gardant leurs biens…

     

     

     


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    FABLE DE LAFONTAINE.

     

     

     

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    Frontispice gravé par C.N. Cochin d’après OUDRY

    Pour les fables de Lafontaine (1755-1759)

     

     

    LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT

     

    Perrette sur sa tête ayant un pot au lait

    Bien posé sur un coussinet,

    Prétendait arriver à la ville.

    Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;

    Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,

    Cotillon simple, et souliers plats.

    Notre laitière ainsi troussée

    Comptait déjà dans sa pensée

    Tout le prix de son lait, en employant l’argent,

    Achetait un cent d’œufs, faisait triple couvée ;

    La chose allait à bien par son soin diligent.

    Il m’est, disait-elle, facile,

    D’élever des poules autour de ma maison :

    Le renard sera bien habile,

    S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.

    Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;

    Il était quand je l’eu de grosseur raisonnable :

    J’aurai le revendant de l’argent bel et bon.

    Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,

    Vu le prix dont il est, une vache et son veau,

    Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?

    Perrette là-dessus, saute aussi, transportée.

    Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;

    La dame de ces biens, quittant d’un œil marri

    Sa fortune répandue,

    Va s’excuser à son mari

    En grand danger d’être battue.

    Le récit en farce en fut fait ;

    On l’appela « le pot au lait ».

     

    Quel esprit ne bat la campagne ?

    Qui ne fait châteaux en Espagne ?

    Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,

    Autant les sages que les fous ?

    Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux ;

    Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :

    Tout le bien du monde est à nous,

    Tous les honneurs, toutes les femmes.

    Je m’écarte, je vais détrôner le Sophi ;

    On m’élit roi, mon peuple m’aime ;

    Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :

    Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;

    Je suis gros Jean comme devant.

     

     

     

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    La laitière et le pot au lait

    Tableau de Fragonard gravé par Ponce.

     

    Qui donc, ne rêve aujourd’hui, d’être milliardaire, en prenant un billet de loto ?

     

     

     


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