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    Littérature

    Collection de presse-papiers de Colette…

     

    LA PREOCCUPATION DE CE QUI N’EST PAS DE CE MONDE…

     

    La préoccupation de ce qui n’est pas de ce monde tourmente beaucoup d’écrivains, soit qu’ils étudient la sainteté, ce culte du moi, soit qu’ils recherchent les influences des astres, des esprits, de la folie. Par quel appel ont-ils été sollicités ? Par quelle brèche l’univers extérieur a-t-il pénétré dans le nôtre ? Par le truchement de quel magique objet ?

    Rien de ce qui est opaque n’a pu provoquer d’évasion, ni de perdition. Mais que l’on songe aux pommes de l’Arbre de la Science du Bien et du Mal, et qui étaient des pommes de cristal. Tout objet en cristal est un commencement ? Jamais il n’y eut d’autre appel du serpent, que le chant infinitésimal de la transparence, que ce murmure perceptible aux élus, qui accompagne toujours le verre, murmure que pour le commun des mortels un rien provoque, mais qui n’a pas besoin d’être suscité pour les autres, puisqu’ils est toujours là, comme le chant de la source est inclus dans l’étirement de l’eau.

    Quel sens l’univers ne prend-il pas, s’il substitue à l’image d’une Eve limoneuse en extase devant un comestible le geste réfléchi de la Sibylle, penchée sur un fruit que les rayons annulent, entrée déjà dans la sphère qu’interrogeront après elle toutes les voyantes, prisonnières du cercle par elle seule franchi, déjà loin d’Adam qu’elle ne verra plus qu’à travers de courbes clartés.

    D’autres fruits sont issus de l’arbre aux invisibles racines, et que Colette a chantés : les presse-papiers de verre. Déjà les restrictions humaines les ont emplis de fleurs, pavés d’un acide mosaïque irriguée par le vide et dont les couleurs ne se fanent jamais. Mais rien ne surpasse la sphère de cristal, la sphère pure, qui incurve les paysages, et qui comporte un point brillant comme une tache de soleil au fond d’une longue et verte allée ; un point céleste, un point de mirage, un point insigne. Tout être, pour passer par ce point, droit délimiter sa substance, s’allonger, devenir fluide se détruire. Mais celui qui veut vivre, s’asseoir dans des fauteuils, se gorger de pain et de jeux, acheter des voitures et les revendre avec des bénéfices ; celui qui veut placer en ce monde son bien-être et sa fin ne doit jamais prendre dans sa main la sphère dont il saurait déjà qu’elle est magique, car rien ne la réchauffe, ni le soleil, ni le souffle d’une bouche amoureuse, ni une paume embrasée. Il ne doit jamais sur cet abîme suspendu, sur ce translucide glaçon, appuyer son regard. S’il est capté, tout ce qui est humain s’en va de lui.

    IL mue Il meurt. La porte s’ouvre, par où s’en sont allés Blake, Gérard de Nerval, Lautréamont.

    Germaine BEAUMONT

    Extrait de : Si je devais…

     

    Aujourd’hui, la course aux extra-lucides, aux mondes outre-terre, fait couler encore et peut-être plus d’encre.

    Les films se déchaînent en voyages en au-delà, en galaxies, où vivent des êtres, toujours affreux, aux cerveaux hyper-développés, qui peuvent d’un jet de lumière galactique nous pulvériser, nous et notre malheureuse boule terrestre. Je déteste ce genre de film !

    Et pourtant, un jour, l’homme, avec ses inventions, ses recherches, va sans doute créer des monstres à deux, voire trois têtes, qui pourront, peut-être, eux aussi, d’un jet de lumière atomique pulvériser quiconque ne pensera pas comme eux ! Un programme, auxquels beaucoup rêvent, croient, et travaillent…

    Je préfère garder mes rêves, la terre me suffit, je la trouve belle, avec ses  fleurs, ses parfums, ses amours, et la promesse d’un Paradis, d’un au-delà mystique, …

    Liviaaugustae


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    Littérature

    Malle de voyage de la chambre de la Reine Marie-Antoinette.

    « En dos d’âne en forme de bahut », en bois, fer et cuir.

    (XVIIIe siècle)

     (Image Wikipédia)

     

     

    LES MALLES SONT…

     

    Les malles sont, au même titre que les drapeaux et les poissons rouges, des accessoires de prestidigitation. Les malles ont quatre côtés et cinq dimensions. Quelle que soit la dimension d’une malle, elle est toujours trop petite. Par un phénomène curieux, une malle ne ferme jamais au moment de la rentrée même si elle contient moins d’objets qu’au moment du départ. Des industriels optimistes ont essayé de perfectionner les malles. On ne perfectionne pas les malles, on les subit. Les malles ne sont commodes que quand elles sont ouvertes et vides dans une vitrine. La preuve que les malles ne sont pas faites pour voyager, c’est qu’elles n’ont pas de pieds. Le symbole de l’inertie, c’est une malle.

    On reconnaît les objets que l’on doit mettre au fond de la malle à ce que ce sont toujours ceux dont on se souvient au dernier moment.

    Le couvercle de la malle est le socle du voyageur. Les malles s’ouvrent toutes seules, mais il faut toujours être à plusieurs pour les fermer. C’est toujours avec les bêtes sédentaires que l’ont fait cuire les malles. Ni les vaches ni les porcs ne montent dans les trains, sinon pour mourir. C’est ce qui explique la psychologie des malles. Personne, pas même Paul Morand, ne sait faire une malle, mais tout le monde le croit. Les seules malles qui arrivent infailliblement à destination sont celles qui contiennent un voyageur. Le chien de la maison pleure quand il voit une malle. Ce qu’il faut mettre dans les malles, c’est ce qu’on n’emporte jamais ; des châles cachemire, du camphre et « Les Voyages de M. de La Harpe ». Les malles des fous sont dans les fourgons. Les malles des sages sont dans les greniers. La boîte de Pandore était une malle, avec l’espérance en moins. Le plus grands des voyageurs, Ulysse, n’avait pas de malle. Il est dangereux d’avoir une malle, parce qu’on finit par vouloir s’en servir. Les malles concourent à la fécondation des hôtels, en promenant leurs étiquettes comme un pollen.

    L’homme heureux se reconnaît à ce qu’il a vendu sa malle pour s’acheter une chemise.

    Une consigne est plus triste qu’un cimetière.

    Malle est le féminin de mal !

    Germaine BEAUMONT

    Extrait de : Si je devais…

     

    Si je devais… avoir une malle, je la remplierais, et je m’en irais voyager…

    Je n’ai que des valises, et je pars avec, même si je dois, (surtout au retour, demander de l’aide pour les fermer), c’est merveilleux de ramener des tas de choses (qui une fois à la maison, il faut bien l’avouer, ne servent plus à rien), quand, après les vacances, on revient, avec un peu de cafard et que tout ce qu’on a achetées, sur des coups de cœur… ne va nulle part ! On les met au grenier.

    Je pense que c’est pour cela que trois ou quatre générations plus tard, on découvre dans lesdits greniers de petites merveilles, que  l’on sort des vieilles armoires,  en disant négligemment : « j’ai trouvé cela dans le grenier de ma grand-mère » !

    Liviaaugustae


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    Littérature

     

    Le fenouil commun, Fœniculum vulgare

    (Image Wikipédia) 

     

    ESSENCES…

     

    « Sans descendre jusqu’au fond du vallon, je suivis sur la gauche le pied de la barre, et je vis bientôt ce que je cherchais : une longue bande de thym, qui fleurissait très avant l’été, à l’ombre de la roche fraîche.

    J’en arrachais sans peine quelques belles touffes et je les liais l’une après l’autre le long d’une ficelle, dont je nouais ensuite les deux bouts, pour m’en faire un baudrier.

    Ainsi équipé, je descendis vers la « planette », et je plongeais sous les ombelles à grains d’or d’une forêt de fenouils. Ils étaient bien plus grands que moi, je ne voyais pas à un mètre ? Je me mis donc à quatre pattes, et j’imaginais, pendant un moment, que j’étais une fourmi dans un pré, afin de me faire une idée des sentiments – et peut-être de la philosophie- de ces mystérieux insectes.

    Puis, avec mon couteau de berger, je tranchais à ras de terre les plus tendres pousses ; je fus aussitôt entouré par une délicieuse odeur verte, celle des berlingots à l’anis. Je liais ces tiges d’une autre ficelle : puis, ma botte de fenouils sous le bras, ma guirlande de thym en bandoulière, et mon précieux bâton à la main, je sortis de l’odorante forêt, pour rendre visite à la vigne solitaire. »

    Marcel Pagnol

    Extrait de : Le Temps des secrets.

    Pagnol aussi était un de nos grands écrivains ! L’apprend-t-on encore dans les classes ? Fait-on encore des dictées avec ses textes si merveilleux ?

    Las ! Je n’en suis pas sûre.

    Liviaaugustae


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    Littérature

    Envol de ballons de toutes les couleurs…

     

    LA SUPERIORITE DES BALLONS ROUGES…

     

    La supériorité des ballons rouges sur les avions, c’est qu’ils ne vont nulle part.

    Grappes de Chanaan dont la pointe est tournée vers le ciel, ils voyagent lestés du marchand qui les égrène dans de petites mains. Chaque enfant qui tient un ballon rouge est un enfant perdu. Il est perdu pour la vie réelle, pour les tartines et pour un avenir administratif. Il ne suit plus sa mère, il suit son ballon. Il ignore les gifles et regarde ses pieds avec dédain. Il sait désormais que les plus beaux fruits ne sont pas ceux que l’on met dans du coton hydrophile comme de grands malades, ni ceux qui, par-dessus les murs, tentent les maraudeurs et dégoûtent les renards.

    Ce sont ceux qui n’ont pas de patrie, ceux qui n’ont pas de saisons ni de jardiniers, ceux qui se gonflent sans soleils et sans sucs, ceux dont la tige n’a pas de racine terrestre, mais telle la corde lancée par le fakir, part de l’inconnu pour monter vers l’infini.

    Ballons rouges, pommes sans poids, fruits légers, que vous êtes lourds. Lourds comme tout ce qui n’a pas de chair. Seul l’esprit comble et sustente votre contour parfait. Aucune erreur n’est permise à l’exquise enveloppe qui vous sépare de l’univers. Elle est tendue selon la courbe qui s’établit autour des pensées mûres, exacte, vigilante et d’un grain sans défaut.

    Terres sans tares, lunes sans cratères, saturnes sans anneaux, les ballons gravitent selon leurs lois, en marge du système solaire.

    Traînant l’enfance satellite, ils errent, choisissent, égarent, inspirent et s’en vont. Peut-être sont-ils la ronde maison de l’elfe et de la fée, la prison des âmes, le pollen de Brocéliande, l’asile des songes perdus, les messagers de l’au-delà.

    On pourrait croire parfois qu’ils nous échappent. Mais se sont eux qui s’ennuient et qui nous laissent tomber. Jamais les ballons rouges ne restent longtemps parmi les humains. Notre densité entrave leur vol. Les uns montent, sans ailes, comme l’amour ; les autres meurent. La mort d’un ballon rouge ressemble à la naissance d’un coquelicot.

    Germaine BEAUMONT

    Extrait de : Si je devais…

     

    Ils ne sont pas  forcément tous rouges, les ballons des rêves !

    Ils sont de toutes les couleurs, et s’envolent au gré du vent, au gré de l’ennui ou de la joie dans le ciel de nos vies…

     Les enfants, qui connaissent bien les ballons, savent cela, ils les délaissent assez vite pour s’en aller vers d’autres jeux, d’autres joies, vers des ailleurs connus d’eux seuls…

    Liviaaugustae


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    "La Dernière Classe" :  Alphonse Daudet

    Ce matin-là j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand-peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs. 

    Le temps était si chaud, si clair. 

    On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école. 

    En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de commandature ; et je pensai sans m'arrêter: 

    «Qu'est-ce qu'il y a encore?» 

    Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria: 

    --«Ne te dépêche pas tant, petit; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école!» 

    Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel. 

    D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables: 

    «Un peu de silence!» 

    Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu; mais justement ce jour-là tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez, si j'étais rouge et si j'avais peur! 

    Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement: 

    «Va vite à ta place, mon petit Frantz; nous allions commencer sans toi.» 

    J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages. 

    Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit: 

    «Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.» 

    Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah! les misérables, voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie. 

    Ma dernière leçon de français!... 

    Et moi qui savais à peine écrire! Je n'apprendrais donc jamais! Il faudrait donc en rester là!... Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus me faisait oublier les punitions et les coups de règle. 

    Pauvre homme! 

    C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s'asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait... 

    J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis appeler mon nom. C'était mon tour de réciter. Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute; mais je m'embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur  gros, sans oser lever la tête. J'entendais M. Hamel qui me parlait: 

    «Je ne te gronderai pas, mon petit Frantz, tu dois être assez puni... voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit: Bah! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive... Ah! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire: Comment! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue!... Dans tout ça, mon pauvre Frantz, ce n'est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire. 

    «Vos parents n'ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même n'ai-je rien à me reprocher? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé?...» 

    Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide: qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison... Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup. 

    La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde: France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe pendu à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence! on n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français... Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient bas, et je me disais en les écoutant: 

    «Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi?» 

    De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école... Pensez! Depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crève-cœur  ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d'entendre sa sœur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles! Car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours. 

    Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! je m'en souviendrai de cette dernière classe... 

    Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angélus.  Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres... M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand. 

    «Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... » 

    Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase. 

    Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put: 

    «VIVE LA FRANCE!» 

    Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe: 

    «C'est fini...allez-vous-en.» 

    Et ne vous privez pas d’écouter Fernandel lire « La dernière clase » sur le lien ci-dessous :

    Blog : http://www.lescrutateur.com

     

    J’étais comme le petit Frantz, j’avais envie de pleurer en écoutant Fernandel raconter cette histoire qui nous concerne tous !

    Alors si nous voulons encore, entendre et parler notre belle langue, c’est-à-dire, avoir la clef de notre prison, même si, un jour, nous sommes en esclavage !

    Gardons-là, précieusement, apprenons-là, à nos enfants et petits-enfants.

    Liviaaugustae


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