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    Billet

    Vierge à l’Enfant et cinq anges, dite Madone du Magnificat

    De Sandro Botticelli (vers 1481-1485)

     

     

    VOYAGE EN SPIRITUALITE

     

    La nuit, quand les étoiles clignotent dans le ciel, le cœur s’émeut, l’esprit s’enivre, l’âme s’ouvre au mystère. Parfois la lune de Beethoven nous y convie.

    La mécanique céleste des astronomes nous fascine, mais c’est dans le ciel des théologiens et des poètes que les figures de nos chimères prennent de l’altitude. « Il est monté au ciel », dit-on aux enfants, faute de mieux, lorsqu’un aïeul vient de mourir. […]

    […] Pas les cieux des astrophysiciens derrière les nuages, ou derrière les planètes, encore qu’ils nous consentent un aperçu allégorique de l’Invisible. Un ciel à la fois plus concret et plus secret, celui où s’affairent les anges au gré du souffle divin. Celui dont rêvait la pauvre Ophélie de Rimbaud : « Ciel, amour, liberté… » Celui qu’habitent nos aspirations à l’éternité et nos hantises d’un néant plus ou moins démoniaque, coloriées par les artistes innombrables de l’histoire du catholicisme, chacun avec son génie. L’azur séraphique du ciel, ou sa noirceur, ou sa lividité, ou la grisaille qui le voile, ou les roses orangés des crépuscules, reflètent les états de notre âme.

    Tout de même, c’est en bleu qu’on le préfère, et comme par hasard la couleur bleue, longtemps peu considérée par les artistes, s’est imposée à l’âge des cathédrales, sur les vitraux surtout mais aussi sur les peintures, les sculptures, les enluminures, les vêtements.  Bleues les figurations des voluptés paradisiaques, bleues les robes de la Vierge, bleue la majesté royale à partir de Philippe Auguste, bleue la mélancolie des romantiques allemands. Le catholicisme a perdu pas mal de batailles culturelles depuis la fin du baroque, mais il a gagné la bataille du bleu. […]

    Tandis que m’émerveille la buse décrivant des arabesques dans le ciel autour de mon clocher, au gré de son désir. De sa poétique. Imagerie peut-être fallacieuse de la liberté – mais comment décrire cette triple fringale d’évasion, d’insouciance et d’apesanteur ? Ce ciel de l’oiseau en cavale,  c’est l’appel du divin à la mesure de nos imaginations. Dans l’iconographie, Dieu le Père nous y tend la main (de loin), le Christ nous y ouvre ses bras (de moins loin), la Vierge s’y élève en une Assomption majestueuse, sous la garde des légions célestes, survolant les paysages de fantaisie et les villes idéalisées. Nous désirons l’y rejoindre. C’est l’horizon indestructible de notre salut éventuel, un outre-monde qui nous incite à lever les yeux – mais on peut les fermer, le ciel est toujours là, sinon toujours bleu. On a le droit de rêver qu’une belle nuit, l’étoile des Rois mages recommencera à briller. Ce qui signifierait simplement que nous avions oublié la route qu’elle nous indique. En attendant, nous continuerons de badigeonner nos ciels avec les pinceaux de nos songeries et, les jours d’euphorie, ils seront tapissés de ce bleu ineffable qui enlumine les verrières de Chartres. Les jours de blues, ce sera le bleu torturé des Vierges du Greco.

    Denis TILLINAC

    Extrait de : Le Dictionnaire amoureux du Catholicisme.

     

     

     

    Moonlight Sonata Beethoven.

     

    Mettre la musique en lisant…

     

     


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    Littérature

     Île inhabitée dans les Palaos…

    (Image Wikipédia)

     

    L’ENQUETE ETANT A LA MODE…

     

    L’enquête étant à la mode il faut être toujours sur le qui-vive, et prêt à répondre avec esprit à des questions qui laisseraient pantois le sphinx lui-même.

    L’enquêteur ne sait point que vous avez horreur des voyages, mais vous somme d’envisager la perspective d’un naufrage sur une île déserte à seule fin de connaître le livre que vous aimeriez lire là-bas, toute nue et face à Dieu, en attendant le passage du navire libérateur. En vain vous insinuez que, quand à sauver quelque chose, vous préféreriez que ce fût une boîte de conserves ou un peignoir. Malheureuse, ne savez-vous pas que sur une île déserte on ne fait que lire, et même lire la Bible, Kant, la Logique de Port-Royal, la table des logarithmes ou la cuisine bourgeoise de tante Culina, bref tous les recueils de mots câlins et tendres,  de mots qui font rêver d’amour ?

    D’amour. Le grand mot est lâché. D’amour.

    L’enquêteur vibre. Aimez-vous ? Qui aimez-vous ? Pourquoi  aimez-vous ? Aimerez-vous longtemps ? A quel âge faut-il commencer à aimer ? A quel âge faut-il finir ? Vos amours sont-elles normales ? Sont-elles basées sur l’odorat, la vue, le toucher, le goût, le risque, la race, ou l’intérêt ? L’assassinat,  jusqu’ici considéré comme un des beaux-arts, est-il une preuve d’amour ? Est-il préférable de tuer l’objet aimé avec une arme à feu, une arme blanche, ou un instrument contondant ?

    Qu’est-ce qui rend le plus heureux, l’amour profane ou l’amour divin ? Préférez-vous le plaisir sans amour, ou l’amour sans plaisir ? Combien de personnes peut-on aimer à la fois ? Voudriez-vous être Messaline, sainte Thérèse, Madame Tallien, Belle de jour ?

    La profondeur de ces questions infinies vous effraie et vous hésitez à répondre. Répondez et mentez. La tradition vous interdit d’être véridique ; l’enquêteur ne vous demande que d’être original, afin de permettre que ses lecteurs rougissent, s’écrient : «Ah ! Ah ! » « Tiens, tiens ! » ou même : « Pourquoi pas ? »

    Germaine BEAUMONT

    Extrait de : Si je devais…

     

     

    Cela m’amuse de lire ce genre d’enquête, lorsque je feuillette, « Gala, Voici » etc … chez mon coiffeur, ou dans une salle d’attente quelconque. Je suis surprise que certaines « stars » répondent sans broncher : « moi je lis Kant, j’aaadôre ! », ou bien « moi, je lis l’Eneide en latin » etc… (Celle-là, je l’ai lu vraiment). Alors que vous avez vu à la télé, une interview (lamentable) de cette même « star », balbutiante, qui peinait à trouver ses mots.

    Et dans tous les questionnaires de Proust, le moindre petit acteur, (trice) le moindre petit chanteur, (se)  partent sur une île déserte avec… Kant, le plus souvent ! Son patronyme est sans doute le plus connut ?

    Beaumont écrivait cela en 1930 !  

    Au XXIe siècle, même avec des moyens de communication, infinis, cela continue, les journalistes n’ayant toujours rien à dire, continuent d’enquêter… Sur rien !

    Comme quoi, rien ne change sous le soleil !

    Liviaaugustae


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    Littérature

    Un des succès de la Bibliothèque bleue : Huon de Bordeaux imprimé à Troyes par la veuve Oudot (Anne Hussard) vers 1720.

    (Image Wikipédia)

     

     

    LA SAGESSE DE LA NATION

     

    D’Henri IV à Jules Grévy, des colporteurs ont sillonné les campagnes françaises afin de vendre aux « petites gens », à « ceux qui n’ont pas connaissance des bibliothèques », à « la classe la plus modeste et qui lit peu » des livres à couvertures bleue, imprimés sur du papier à emballer les pains de sucre.

    Il y à là un trésor de littérature populaire qu’on ne connaît plus, qui n’a guère été étudiée et qui est pourtant passionnante puisqu’elle a nourri les rêves du peuple français durant trois siècles.

    La « Bibliothèque bleue » a été, pour des générations de paysans, d’artisans, d’ouvriers, de bourgeois de chez nous (et de personnes de qualité, car je suis bien sûr qu’elles aussi devaient l’acheter), l’équivalent de la télévision et de la radio.

    Elle leur apportait ce que ces deux inventions propagent dans les foyers : des nouvelles, des aventures, des récits édifiants, des histoires de rois ou de brigands, des prévisions météorologiques, des recettes de santé ou de bien-être, des conseils pratiques, une espèce de sagesse quotidienne roublarde ou naïve et surtout un certain « esprit d’époque ». La Bibliothèque bleue, c’était le monde à domicile pour des gens qui ne bougeaient pas.

    Madame Geneviève Bollème s’est plongée dans cet océan d’imprimés. Elle a recensé plus de mille titres, parmi lesquels soixante-trois almanachs. Elle en a fait une anthologie qu’elle a intitulée très judicieusement La Bible bleue.

    C’et bien d’une bible qu’il s’agit, une bible en mille volumes, contenant tout ce qui est utile à savoir ou agréable à entendre.

    La Vierge Marie, racontant l’Annonciation, soupire :

    A la venue de l’Ange,

    Je sens mon cœur

    D’une manière étrange

    Battre de peur…

    Le très noble Charlemagne mangeait à son repas « le quart d’un mouton, une ou deux gélines, ou une oie, ou un jambon, ou un paon, ou une grue, ou un lièvre tout entier. Il était si fort qu’il fendait depuis le haut de la tête jusques en bas un chevalier sur son cheval ».

    Un bon clystère se prépare avec de l’e         au, du sel et du jaune d’œuf. On peut y ajouter de l’huile, du lait et de la térébenthine. « Le tout se donne tiède ».

    Une des caractéristiques de la Bibliothèque bleue est que quoique étant l’œuvre d’auteurs anonymes, elle est, dans l’ensemble bien écrite. Dans les productions du XVIIIe siècle, on sent la patte élégante des jésuites. Je relève ceci dans le récit de l’exécution de Pougatchev extrait du Véritable Messager boiteux de Bâle (1776) : « En même temps l’on déshabilla Pougatchev ; et il y aida lui-même avec beaucoup de présence d’esprit. » Ne dirait-on pas du Mérimée ?

    Il existe très peu de chemins pour aller à la découverte de la France secrète, de la France mystérieuse, de la France des profondeurs. La Bibliothèque bleue en est un, et des plus pittoresques. On ne peut lire les textes choisis par Mme Bollème sans attendrissement ni amusement.

    Avec eux nous touchons à nos ancêtres, nous voyons nos racines, nous découvrons ce qui meublait les têtes de ces bonnes gens qui, en trois cent ans, ont fait obscurément de la France le sel de la terre.

    Jean DUTOUR

    Extrait de : Contre les dégoûts de la vie.

     

    Grâce à Jean Dutour, j’ai appris l’existence de cette Bibliothèque bleue, jamais, au paravent je n’en avais entendu parler.

    Mais sur Wikipédia, (on sait tout, ou presque tout), l’existence de cette bibliothèque-là, était connue ! Et j’en ai profité pour en extraire l’image de cet incunable.

    En lisant, on apprend beaucoup pour pas  cher !

    Liviaaugustae


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    Littérature

    L’île des Sanguinaires aujourd’hui, avec son phare sûrement automatique…

    (Image Wikipédia)

     

    LES LETTRES DE MON MOULIN

     

    Le phare des Sanguinaires…

     

    Cette nuit je n’ai pas pu dormir. Le mistral était en colère, et les éclats de sa grande voix m’ont tenu éveillé jusqu’au matin. Balançant lourdement ses ailes mutilées qui sifflaient à la bise comme les agrès d’un navire, tout le moulin craquait. Des tuiles s’envolaient de sa toiture en déroute. Au loin, les pins serrés dont la colline est couverte s’agitaient et bruissaient dans l’ombre. On se serait cru en pleine mer…

    Cela m’a rappelé mes belles insomnies d’il y a trois ans, quand j’habitais le phare des Sanguinaires, là-bas, sur la côte corse, à l’entrée du golfe d’Ajaccio.

    Encore un joli coin que j’avais trouvé là pour rêver et pour être seul.

    Figurez-vous une île rougeâtre et d’aspect farouche ; le phare à une pointe, à l’autre une vieille tour génoise où, de mon temps, logeait un aigle. En bas, au bord de l’eau, un lazaret en ruine, envahi de partout par les herbes ; puis des ravins, des maquis, de grandes roches, quelques chèvres sauvages, de petits chevaux corses gambadant la crinière au vent ; enfin là-haut, tout en haut, dans un tourbillon d’oiseaux de mer, la maison du phare, avec sa plate-forme en maçonnerie blanche, où les gardiens se promène de long en large […]

    Voilà l’île des Sanguinaires, comme je l’ai revue cette nuit en entendant ronfler mes pins C’était dans cette île enchantée, qu’avant d’avoir un moulin, j’allais m’enfermer quelque fois, lorsque j’avais besoin de grand air et de solitude.

    Ce que je faisais ?

    Ce que je fais ici, moins encore. Quand le mistral ou la tramontane ne soufflaient pas trop fort, je venais me mettre entre deux roches au ras de l’eau, au milieu des goélands, des merles, des hirondelles, et j’y restais presque tout le jour dans cette espèce de stupeur et d’accablement délicieux que donne la contemplation de la mer. Vous connaissez n’est-ce pas cette jolie griserie de l’âme ? On ne pense pas, on ne rêve pas non plus. Tout votre être vous échappe, s’envole, s’éparpille. On est la mouette qui plonge, la poussière d’écume qui flotte au soleil entre deux vagues, la fumée blanche de ce paquebot qui s’éloigne, ce petit corailleur à voile rouge, cette perle d’eau, ce flocon de brume, tout excepté soi-même… Oh ! que j’en ai passé, dans mon île, de ces belles heures de demi-sommeil et d’éparpillement…

    Les jours de grand vent, le bord de l’eau n’étant pas tenable, je m’enfermais dans la cour du lazaret, une petite cour mélancolique, tout embaumée de romarin et d’absinthe sauvage, et là, blotti contre un pan de vieux mur, je me laissais envahir doucement par le vague parfum d’abandon et de tristesse qui flottait avec le soleil dans les logettes de pierres […]

    Vers cinq heures, le porte-voix des gardiens m’appelait pour dîner. Je prenais alors un petit sentier dans le maquis grimpant à pic au-dessus de la mer, et je revenais lentement vers le phare, me retournant à chaque pas sur cet immense horizon d’eau et de lumière qui semblait s’élargir à mesure que je montais.

    Là-haut, c’était charmant. Je vois encore cette belle salle à manger à larges dalles, à lambris de chêne, la bouillabaisse fumant au milieu, la porte grande ouverte sur la terrasse blanche et tout le couchant qui entrait… […]

    Nos repas se passais ainsi à causer longuement : le phare, la mer, des récits de naufrages, des histoires de bandits… […]

    Moi, pendant ce temps j’allais m’asseoir dehors sur la terrasse. Le soleil, déjà très bas, descendait vers l’eau de plus en plus vite, entraînant tout l’horizon après lui. Le vent fraîchissait, l’île devenait violette. Dans le ciel, près de moi, un gros oiseau passait lourdement : c’était l’aigle de la tour génoise qui rentrait… Peu à peu, la brume de mer montait. Bientôt on ne voyait plus que l’ourlet blanc de l’écume autour de l’île… Tout à coup au-dessus de ma tête, jaillissait un grand flot de lumière douce. Le phare était allumé. […]

    Alphonse Daudet

     

    La Mer de Claude Debussy

    Mettre le son en lisant le texte

     

     

     


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    Littérature

    LETTRES DE MON MOULIN

     

    Installation…

    Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs de la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins… La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine, assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune, frrt ! voilà le bivouac en déroute, et tous ces petits derrières blancs qui détalent, la queue en l’air, dans le fourré. J’espère bien qu’ils reviendront.

    Quelqu’un de très étonné aussi, en me voyant, c’est le locataire du premier, un vieux hibou sinistre, à tête de penseur, qui habite le moulin depuis plus de vingt ans. Je l’ai trouvé dans la chambre du haut, immobile et droit sur l’arbre de couche, au milieu des plâtras, des tuiles tombées. Il m’a regardé un moment avec son œil rond ; puis, tout effaré de ne pas me reconnaître, il s’est mis à faire : « hou ! hou ! » et à secouer péniblement ses ailes grises de poussière ; ces diables de penseurs ! ça ne se brosse jamais… N’importe ! tel qu’il est, avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée, ce locataire silencieux me plaît encore mieux qu’un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail. Il garde, comme par  le passé, tout le faut du moulin avec une entrée par le toit ; moi je me réserve la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent.

    C’est de là que je vous écris, ma porte grande ouverte, au bon soleil.

    Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi jusqu’au bas de la côte. A l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes fines,… Pas de bruit… A peine de loin en loin, un son de fifre, un courlis dans les lavandes, un grelot de mule sur la route… Tout ce beau paysage provençal ne vit que par la lumière ?

    Et maintenant, comment voulez-vous que je regrette votre Paris bruyant et noir ? Je suis si bien dans mon moulin !  C’est si bien le coin que je cherchais, un petit coin parfumé et chaud, à mille lieues des journaux, des fiacres, du brouillard !... Et que de jolies choses autour de moi ! Il y a à peine huit jours que je suis installé, j’ai déjà la tête bourrée d’impressions, de souvenirs… […]

    Alphonse Daudet


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